Quand le besoin se fait sentir et la carrière professionnelle d’une femme devient une priorité, le recrutement d’une nounou devient une nécessité. Dans le cadre de cette idée, Leila Slimani a écrit Chanson douce[1], un roman valant le prix Goncourt 2016.
Dès le début l’auteure cite simples contes des collines de Rudyard Kipling : « Mademoiselle Vezzis était venue de par-delà la Frontière pour prendre soin de quelques enfants chez une dame (…). La dame déclara que mademoiselle Vezzis ne valait rien, qu’elle n’était pas propre et qu’elle ne montrait pas de zèle. Pas une fois il ne lui vint à l’idée que mademoiselle Vezzis avait à vivre sa propre vie, à se tourmenter de ses propres affaires, et que ces affaires étaient ce qu’il y avait au monde de plus important pour mademoiselle Vezzis » et Crime et châtiment de Dostoïevski : « Comprenez-vous, Monsieur, comprenez-vous ce que cela signifie quand on n’a plus où aller ? » La question que Marmeladov lui avait posée la veille lui revient tout à coup à l’esprit. « Car il faut que tout homme puisse aller quelque part ». Les deux références rappellent que l’intérêt réservé à une chose n’est pas dépourvu de risques.
Une nouvelle recrue qui change la vie
Myriam qui a repris ses activités professionnelles, lasse du quotidien passé entre quatre murs en train de s’occuper des enfants, a recruté Louise. Cette dame veuve était un modèle que la mère de Mila et Adam considérait comme « une fée » [2]. Elle ne se contentait pas de prendre soin des petits mais elle astiquait aussi la maison : « Au bout de quelques semaines, elle n’hésite plus de changer les objets de place. Elle vide entièrement les placards, accroche des sachets de lavande entre les manteaux. Elle fait des bouquets de fleurs. Elle éprouve un contentement serein quand, Adam endormi et Mila à l’école, elle peut s’asseoir et contempler sa tâche. L’appartement silencieux est tout entier sous son joug comme un ennemi qui aurait demandé grâce »[3]. Elle est devenue un modèle dont on parle : « Dans l’entourage de Paul et de Myriam, tout le monde finit par connaître Louise. Certains l’ont croisé dans le quartier ou dans l’appartement. D’autres ont seulement entendu parler des prouesses de cette nounou irréelle, qui a jailli d’un livre pour enfants »[4]. Mais cette dame dont on loue les qualités n’est pas sans problèmes. Elle vit dans un studio insalubre qu’elle doit quitter faute de payer le loyer. Elle vit un stresse intérieure qu’elle n’a pu masquer jusqu’au jour où : « Il lui prend parfois l’envie de poser ses doigts autour du cou d’Adam et de le secouer jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Elle chasse ces idées d’un grand mouvement de tête. Elle parvient à ne plus y penser mais une marée sombre et gluante l’a envahie tout entière. « Il faut que quelqu’un meure. Il faut que quelqu’un meure pour que nous soyons heureux »[5].
Tout au long du roman, le lecteur est conduit dans les moindres détails pour découvrir que ce qui importe ce n’est pas l’apparence mais ce que cache la conscience.
Lamia Bereksi Meddahi
[1] Ed/Gallimard, 2016.
[2] Id, p. 34.
[3] Ibid, p. 36.
[4] Ibid, p. 62.
[5] Ibid, p. 213.