Marrakech est rythmée par l’arrivée au printemps d’un oiseau porte-bonheur, la cigogne. On peut facilement remarquer cet oiseau blanc à la cape noire de pèlerin nicher sur les minarets des mosquées. E

Marrakech est rythmée par l’arrivée au printemps d’un oiseau porte-bonheur, la cigogne. On peut facilement remarquer cet oiseau blanc à la cape noire de pèlerin nicher sur les minarets des mosquées. En 1930, une cigogne bien particulière s’est posée sur les zelliges polychromes de la ville ocre, pour ne plus jamais la quitter. Elle s’appelait Denise Masson.
Denise est née à Paris le 5 août 1901, dans une famille bourgeoise et chrétienne fervente, d’un père riche avocat, esthète et grand collectionneur d’art et d’une mère musicienne pianiste. Elle reçoit une éducation qui lui donne les clefs pour apprécier le beau, ainsi que des principes religieux d’ouverture vers l’autre.

Après un bref passage au couvent, elle décroche un diplôme d’infirmière à l’âge de 28 ans et décide de prendre son harmonium et de partir à Rabat. Elle travaille au dispensaire antituberculeux de la ville et très vite elle se distingue par son intérêt profond envers la langue arabe et les cultures de l’Islam. Elle se lance dans l’apprentissage de l’arabe classique et dialectal (darija) à l’Institut des hautes études marocaines. Elle voulait s’imprégner de l’âme de ce pays qu’elle ne quittera plus jamais.

Un an plus tard, elle est nommée directrice du dispensaire antituberculeux de Marrakech dans une période où la maladie sévit dans tout les milieux de la ville. Denise Masson organise des visites de suivi chez les malades, elle côtoie la misère des pauvres gens, l’isolement des femmes, la douleur des exclus et des laissés-pour-compte.
Le secours qu’elle portait était extrêmement enrichissant pour elle, car en soignant et en portant de l’aide, elle établissait des liens d’échange et de communication qui lui permettaient de découvrir davantage sur la culture, les traditions et les croyances des Marocains. Elle choisit de vivre dans les mêmes conditions de vie que ces pauvres malades, dans une maison délabrée de la médina, elle qui pouvait se payer une luxueuse demeure à Marrakech.

Denise Masson aimait profondément les Marocains, qu’elle qualifiait de peuple « sensible, insaisissable pour sa sincérité naturelle et son bon sens ».
Il y avait dans l’Islam un mystère dans lequel j’avais besoin d’entrer, parce que les hommes et les femmes qui vivaient au quotidien cette religion m’étaient proches, proches de ma propre conception de la relation au divin.
Elle travaille pendant plusieurs années sur un projet social pour faire de la femme marocaine un levier pour le développement du Maroc, mais son projet est rejeté par l’appareil colonial. Déçue et amère, elle présente sa démission de l’administration coloniale en 1947.
Je me suis battue. J’avais acquis à ce projet des médecins, des intellectuels. J’avais reçu des lettres de jeunes françaises pressées d’apprendre l’arabe, de se rapprocher du milieu populaire, d’être au service du Maroc en marche. Mais non, l’administration a tout saboté. Il ne fallait pas qu’ils évoluent trop vite. Cet échec est un chef-d’œuvre d’idiotie et de mauvaise foi.

Sa mère lui offre un riad au cœur de la médina, un petit bijou d’architecture avec un jardin andalou, un véritable havre de paix. La fortune familiale lui apporte la sécurité financière nécessaire pour qu’elle puisse enfin s’occuper de ses études et ses recherches.
Influencée par ses maîtres et amis orientalistes tels que Louis Massignon et Louis Gardet, deux spécialistes du monde de l’Islam, elle publie en 1958 un premier ouvrage : « Le Coran et la révélation judéo-chrétienne ». Elle présente dans ce livre ses propres traductions des extraits du Coran, insatisfaite des traductions disponibles. Son style concis et sa haute qualité littéraire lui permettent de se faire remarquer par les hautes autorités marocaines qui l’encouragent à traduire le Coran en entier. Denise Masson va dédier trente années de sa vie à ce projet monumental.

En 1967, le Conseil supérieur islamique du Liban et l’Université théologique d’El-Azhar au Caire, la plus haute autorité morale de l’Islam sunnite, accordent leur autorisation d’imprimer sa traduction du Coran et la décrivent comme la « meilleure tentative d’interprétation française du livre sacré » et lui attribuent la mention « solide et sûr », termes employés pour valider les textes théologiques.
Elle signe sa traduction uniquement avec l’initiale de son prénom, « D. Masson ». Certains ont émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’une ruse pour éviter de se voir refuser l’aval des autorités islamiques en apprenant qu’il s’agissait d’une femme!

Sa traduction du Coran sera publiée chez Gallimard dans la prestigieuse « Bibliothèque de la Pléiade ». Denise Masson gardera le souvenir d’un échange risible avec la secrétaire de la maison d’éditions. – C’est pourquoi ? – La traduction du Coran – De qui ? – De moi, Denise Masson – Mais qui est l’auteur ? – C’est Allah!
Elle reste à ce jour la traduction la plus recommandée et la plus lue et ne cessera d’être rééditée dans sa version originale, ainsi qu’en format de poche.

Cette catholique qui fêtait le Ramadan avec les musulmans et Hanoukka au mellah, le quartier juif, se consacre entièrement à l’étude et à l’analyse des idées communes aux trois religions monothéistes, cherchant toute sa vie des passerelles entre les trois religions et publiant plusieurs ouvrages de théologie comparée.
En 1985, lorsque le Pape Jean-Paul II rend visite à Hassan II, Denise Masson se réjouit : la coexistence, le partage, le respect des différences, le dialogue entre chrétiens et musulmans est possible.

La dame de Marrakech, la colombe du dialogue des religions et du rapprochement des peuples s’est éteinte à Marrakech en 1994.
Pour beaucoup d’islamologues et d’orientalistes, elle est un colibri qui ne peut apaiser sa soif avec le nectar d’une seule fleur. Elle a besoin de l’arbre avec ses trois branches.
Ce poème du grand mystique Ibn Arabi (1165-1240) semble lui être destiné: Ô merveille, un jardin parmi les flammes! Mon cœur devient capable de toute image: Il est prairie pour les gazelles, couvent pour les moines, Temple pour les idoles, Mecque pour les pèlerins, Tablettes de la Torah et livre du Coran. Je suis la religion de l’amour, partout où se dirigent ses montures. L’amour est ma religion et ma foi.

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