C’est au Mali rural, plus précisément au pays Dogon que la cinéaste suissesse Catherine de Viana nous emmène à la rencontre de l’abeille africaine. Dans cette région enchanteresse, entre la falaise et le fleuve, on découvre une plaine à perte de vue où abonde une végétation luxuriante, offrant une biodiversité jusque-là prospère. Une fois le décor est planté, le documentaire s’amorce par un exercice de jeu de rôle auquel une ribambelle d’enfants d’un village était invitée à interpréter le fonctionnement de la société des abeilles. Cet intermède hautement pédagogique nous rappelle que les abeilles ne sont pas seulement un essaim ou une ruche qui fabrique du miel, mais une véritable société bien organisée et structurée, et animée par plusieurs valeurs (travail, persévérance, dévouement, discipline…). Le film documentaire Di Den la messagère, projetée au 40e Festival international de cinéma Vues d’Afrique, traite une problématique sérieuse et urgente : la menace des pesticides sur les abeilles au Mali.
Pour aborder cette problématique, la réalisatrice a invité plusieurs acteurs (apiculteur, chercheur, acteurs institutionnels…) pour nous éclairer sur le sujet. Ces entretiens, réalisés avec des plans fixes et exemptés de questions, ont rendu une matière pertinente pour comprendre l’importance de l’apiculture dans l’économie des villages de la région Dogon et les effets néfastes des pesticides sur les abeilles, et corolairement, sur la biodiversité locale. Et pour mettre en exergue le patrimoine apicole de la région, le documentaire nous restitue le savoir-faire local dans la fabrication des ruches traditionnelles cylindriques en bois tressé, qui seront placées aussitôt sur les branches des arbres. Ce sont des ateliers réalisés par des apiculteurs experts locaux qui font vivre et perpétuer un patrimoine ancestral !
En plus d’offrir des moyens d’existence durables et à moindres coûts pour les villageois, l’apiculture qui contribue à l’agriculture par la pollinisation permet de maintenir la population locale en dehors de la saison agricole. Aussi, les abeilles sont des pollinisateurs infatigables qui jouent un rôle crucial dans le maintien et l’amélioration de la biodiversité biologique et des écosystèmes. Dans la brousse de Dogon, on a vu comment les abeilles dans les ruches traditionnelles perchées sur un arbre dissuadent tout acte d’abattage ! Mais les abeilles au pays Dogon sont sérieusement menacées par des milliers de litres de pesticides versées sur les champs de coton. Cette pratique de plus en plus utilisée par les paysans peu conscients des risques de cette chimie et facilitée par un système de crédit cotonnier, provoque des dommages collatéraux sur les abeilles.
En effet, et comme le montre le titre de ce long métrage documentaire, Di Den la messagère, qui renvoie à un personnage mythologique de la tradition dogon, l’abeille au Mali n’est pas seulement un insecte vertueux et pourvoyeur de belles choses, mais également une guérisseuse, une guerrière, une messagère et amplement plus! Pour nous restituer ce côté « mystique et mythologique » de l’abeille, la cinéaste Catherine de Viana est allée à la rencontre des guérisseurs locaux qui mobilisent les abeilles dans leurs pratiques de guérison et parfois de sorcellerie. Comme dit un proverbe dogon : « Le bourdonnement des abeilles, c’est le tambour du monde », il faut donc interpréter ce que elles nous bourdonnent à l’oreille, ce qui renvoie à l’importance de la communication et de la médiation dans la spiritualité dogon!
Le documentaire de Catherine de Viana nous a permis de découvrir l’abeille africaine du pays Dogon et son importance dans la tradition, l’économie et l’écosystème locales, mais, hélas et trois fois hélas, ce patrimoine apicole ancestral est menacé par une chimie aux effets délétères et irréversibles, ce qui invite à réfléchir encore une fois sur les alternatives aux pesticides !
Sofiane Idir
