L’initiative : Avant même de débuter le volet de liberté, vous rappelez les propos de Khalil Gibran : « A tous les parents…Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même, ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. » Pouvez-vous expliquer la portée de cette citation ?
Chadia Chaibi Loueslati : Cette célèbre citation de Khalil Gibran, tirée de son ouvrage Le Prophète, offre une réflexion profonde sur la parentalité, l’individualité et la liberté. Les parents sont des canaux, non des créateurs au sens ultime. Ils permettent à la vie de se manifester, mais ne sont pas les détenteurs de l’essence de l’enfant. Ce poème appelle à reconnaître que les parents ont un rôle de guide, pas de propriétaire ou de sculpteur d’un destin imposé. C’est mon poème préféré.
La bande dessinée Liberté, égalité, s’émanciper fait partie d’une trilogie. Pouvez-vous nous en dire plus sur les œuvres précédentes ?
Cette trilogie est une œuvre autobiographique. J’invite le lecteur à découvrir l’histoire de l’arrivée de ma famille tunisienne en France dans les années 70. Dans le tome 1, Famille nombreuse, on peut découvrir leur installation en banlieue parisienne et l’arrivée successive de leurs enfants. Je raconte les défis de l’immigration, les différences culturelles et les difficultés administratives. Le tome deux, mes parents décident d’acheter un terrain en Tunisie et d’y faire construire une maison pour pouvoir y passer leurs vacances chaque été. Ce récit explore les liens avec la famille restée au pays, les retrouvailles, mais aussi les différences entre les deux cultures.
Ce qui est mis en lumière c’est essentiellement l’importance du dialogue entre les parents et les enfants. Comment vous est venue cette idée pour traiter ce sujet dans le cadre d’une bande dessinée ?
Quand je suis devenue mère, je me suis demandé quel résultat j’obtiendrai si j’offrais à mes filles un environnement où elles se sentiraient en sécurité, où elles pourraient parler librement et faire leurs propres choix. Un foyer où elles seraient libres d’êtres elles- mêmes. Sans aucun jugement, juste du soutien. Une approche qui m’était totalement étrangère. Mes parents n’étaient pas portés sur la communication et l’échange. 20 ans plus tard, je cueille toujours les fruits de ce dialogue avec mes propres filles. Ce sont deux jeunes femmes épanouies et libres. Nous parlons de tout et de rien. Quant à l’idée de mettre tout ceci en BD ça me semblait être la suite logique des deux premiers tomes.
La chronologie des mots liberté, égalité, s’émanciper suit une cohérence dans la manière de réfléchir. Pouvez-vous développer ce choix ?
Le choix de cette chronologique fait référence au slogan de la république liberté égalité fraternité. Chaque mot correspond à une tête de chapitre dans la BD. Je trouve qu’ils correspondent parfaitement bien à ce qui se déroule dans cette partie de l’histoire familiale. Une sorte de quête de ces trois valeurs.
Il y a un cruel manque de communication actuellement. Chacun cherche à avoir raison sans s’occuper de la pensée de l’autre. Pensez-vous que les parents peuvent être une entrave à l’épanouissement de leurs enfants ?
Je pense que certains parents peuvent être une entrave à l’épanouissement de leurs enfants. Pas nécessairement par malveillance, mais souvent par peur, méconnaissance ou reproduction de schémas d’éducation anciens. Certains parents veulent tellement protéger ou “réussir” leurs enfants qu’ils imposent leurs propres rêves ou leurs peurs. Mais ce n’est pas le cas de tous les parents, heureusement ! Beaucoup de parents accompagnent, écoutent et se remettent en question. Le but je pense, n’est pas de « ne pas faire d’erreurs », mais plutôt de dialoguer et permettre à l’enfant de devenir lui-même.
A la lecture de votre bande dessinée on prend conscience d’emblée du talent que vous avez à rendre compte des situations non seulement dans le temps mais aussi dans espace. Avez-vous d’autres sujets que vous aimeriez traiter avec cette habileté ?
Vos compliments me vont droit au cœur. Je n’ai pas de projet autobiographique de prévu, mais je collabore avec d’autres scénaristes. L’idée étant d’apporter la même patte à tous mes ouvrages.
Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi