Pour une première fois en Amérique du Nord, une exposition exceptionnelle réunit ensemble 17 artistes australiens en bijou contemporain. Invitée par Noel Guyomarc’h, Katie Scott, propriétaire de Gallery Funaki de Melbourne, a agit comme commissaire et a sélectionné ces artistes reconnus de diverses générations et aux approches esthétiques et conceptuelles variées pour offrir un actuel portrait du bijou de création en Australie. Sous le titre métaphorique de Aurora Australis, cette exposition d’envergure muséale se tiendra du 1er juin au 15 juillet 2018 à la Galerie Noel Guyomarc’h, une opportunité unique de découvrir le talent créatif d’Australie, peu connu en Amérique du Nord.
Ce projet de faire découvrir l’art de ce pays est né de la rencontre récente avec les oeuvres de Blanche Tilden, Simon Cottrell et Marian Hosking, artistes avec lesquels la galerie a collaboré dans le cadre d’expositions thématiques. Les paysages exceptionnels, la diversité unique de la nature et la rencontre avec l’art indigène ont été et sont toujours des sources d’inspiration et de réflexion en art. Aujourd’hui d’autres questionnements rejoignent nos préoccupations contemporaines: l’identité, l’environnement urbain et naturel, le politique, la vision du réel… Le bijou de création ne fait pas exception. L’isolement géographique justifie sans doute une absence de visibilité sur la scène nord-américaine. Pourtant cette discipline est très dynamique que ce soit à Melbourne, Sydney ou Canberra, pour ne citer que quelques villes où se trouvent des écoles ou des universités en plus de nombreux lieux de diffusion. Encouragés par divers organismes gouvernementaux et par les musées qui régulièrement font l’acquisition d’oeuvres, ces artistes méritent une plus grande visibilité.
Après la Finlande, la France, l’Espagne, les Pays Bas et Taiwan, cette exposition s’inscrit également dans les intentions de la galerie de faire découvrir le bijou d’ailleurs.
Katie Scott, commissaire invitée, a commencé à travailler à la Galerie Funaki en 2006. Initialement ouverte en 1995 par Mari Funaki, une artiste qui peu de temps après avoir terminé sa formation au RMIT University, décide d’offrir un lieu dédié au bijou contemporain de créateurs australiens mais aussi internationaux. En 2010, Mari décède d’un cancer. Katie décide alors de poursuivre les activités de la galerie avec les mêmes exigences et la même vision. Elle a d’ailleurs initié le Mari Funaki Award for Contemporary Jewelry, en hommage à l’artiste, un prix remis à un artiste établi et un artiste de la relève qui se sont distingués pour la qualité esthétique, conceptuelle et de conception de leur travail.
Au sujet de cette exposition, Katie Scott écrit :
Aurora Australis réunit 17 artistes australiens contemporains dont le travail, tant dans la forme que les matériaux, est totalement unique. Les pièces sélectionnées se veulent une illustration de l’ampleur et de la qualité de la production australienne actuelle, soutenue et animée par une communauté engagée d’artistes, de professeurs et d’institutions. Les expositions de bijoux australiens organisées en dehors du pays se concentrent généralement sur le thème sous-jacent de la nature, l’environnement australien étant une composante essentielle de notre identité à l’échelle mondiale.
L’Australie, peut-être plus que tout autre pays avec une culture du bijou contemporain, n’est cependant pas le lieu adéquat pour un thème aussi facile. Bien que notre relation (souvent tumultueuse) avec la nature occupe une place centrale dans notre histoire artistique, cette dernière est indissociable de l’influence des avant-gardes étrangères qui ont pénétré le marché australien et évolué à ce contact. Au XIXe siècle déjà, l’orfèvrerie et la joaillerie australienne adoptaient une attitude relativement libre, réinventant les modèles britanniques existants avec de nouveaux motifs et matériaux, mais libérés des règles strictes du poinçonnage typique de la production anglaise.
Cette attitude, en quelque sorte inscrite dans notre ADN, se manifeste aussi dans notre approche du bijouterie contemporaine. L’isolement historique du pays, tant géographique que culturel, est à l’origine d’une curiosité insatiable des créateurs australiens pour les idées et techniques en provenance du reste du monde. Dans les années 60 et 70, de nombreux jeunes créateurs ont voyagé en Allemagne et en Angleterre et en ont rapporté des connaissances et des idées qui se sont ensuite développées ici. D’autres artistes se sont imprégnés de l’influence de joailliers européens de passage ou immigrants, tel que Hermann Jünger et Wolf Wennrich.
La bijouterie australienne se détache aujourd’hui de plus en plus des images autochtones qui nous sont pourtant si souvent associées. Tout comme leurs modèles européens, la population australienne est principalement citadine, évoluant dans un environnement urbain similaire à beaucoup d’autres dans lequel la nature est artificiellement entretenue voire totalement bannie. Notre « matière première » n’est donc pas si différente de celle de tout autre artiste urbain. Ceci dit, il est indéniable que notre environnement – culturel et historique souvent plus que notre environnement physique – peut revêtir une grande importance dans le travail d’un artiste.
Marian Hosking et Julie Blyfield ont ainsi ouvert un dialogue des plus engagés avec la nature et les formes naturelles:
Marian Hosking par le moulage de spécimens botaniques, Julie Blyfield par son utilisation des techniques traditionnelles du repoussé et de la ciselure. Leur travail, qui manie des concepts tels que la féminité, l’artisanat, la notion d’histoire et d’artefact, exprime cependant bien plus que la simple idée d’un souvenir. Inspirée par son environnement immédiat, Carlier Makigawa crée de fascinantes structures architecturales, jouant avec les espaces, le mouvement et les lignes, toujours en réflexion avec la nature.
D’autres artistes explorent les environnements industriels et les centres villes : Bin Dixon-Ward, par exemple, reproduit la vaste disposition en quadrillage des blocs de gratte-ciels avec des technologies d’impression 3D, tandis que Inari Kiuru se concentre sur les petits détails de la vie dans un décor urbain semi-industriel : un scintillement sur du béton, le ciel au-dessus d’une usine, les subtiles nuances de couleur de l’acier.
Le travail de Kirsten Haydon a été fondamentalement façonné par ses recherches sur l’Antarctique, un continent si étranger et pourtant si proche qu’elle tente d’appréhender par l’émail et la photographie.
Blanche Tilden crée des bijoux en verre et en métal qui sont inspirés de lieux spécifiques. Sa série Wearable Cities reproduit ainsi des architectures de verre et d’acier issues de la première modernité, mais aussi aux formes géométriques basiques du corps humain, tel qu’exprimé dans son exposition Clarity en 2016.
Pour d’autres, l’expérience australienne s’exprime de manière moins évidente. Sue Lorraine, par exemple, exprime son histoire personnelle avec le détachement et la rigueur qui caractérisaient ses premières recherches en collections muséales. Le travail de Simon Cottrell, qui s’articule avec lenteur tout en s’autoréférençant, trouve son inspiration dans des sources aussi diverses que la musique expérimentale, la botanique et les machines. Ses pièces ne cherchent cependant jamais à reproduire ces différents éléments. La démarche de l’artiste, ainsi qu’il l’exprime lui-même, est toute
contraire : « La pièce n’a pas pour but de dire quelque chose au public ; je cherche plus simplement à offrir une expérience sensorielle personnelle à celui qui regarde et à celui qui porte le bijou… ».
Le travail de Catherine Truman se situe dans un entre-deux fascinant, aux confins de la nature et de l’intérieur du corps humain, ce qui la conduit à pénétrer plus avant dans le monde parallèle des laboratoires scientifiques et des milieux médicaux. Anna Davern utilise des images et des objets trouvés pour questionner l’histoire officielle de notre identité et de notre passé colonial, dans un mélange d’irrévérence et de sérieux typiquement australien.
Sian Edwards crée des serpents, des crocodiles et des lézards, proposant de porter des pièces qui reproduisent de manière troublante le caractère visqueux et écailleux de leurs modèles. Ces thèmes fondamentaux de l’identité australienne, associés à l’imaginaire du dangereux Outback (l’intérieur désertique du pays), sont cependant subvertis par l’utilisation de sequins, un matériau qui évoque les paillettes de la mode et les arts « mineurs » du strass et de la broderie perlée. L’artiste crée ainsi des pièces résolument associées à un contexte citadin mais dans lesquelles s’exprime aussi la nostalgie d’un territoire lointain.
De même que les thèmes et les matériaux, les méthodes de fabrication utilisées par les artistes australiens sont variées.
Maureen Faye-Chauhan modélise elle-même les formes et motifs complexes de ses pièces en utilisant conjointement l’ordinateur et le papier, avant d’effectuer les découpes au laser et d’assembler le tout méticuleusement par soudure. On devinerait presque, à contempler le travail de Manon van Kouswijk, les mains de l’artiste assemblant les perles de céramique pour ses bijoux inspirés de la forme traditionnelle du collier de perles.
Presque aucun indice en revanche ne laisse deviner la main de Marcos Guzman dans son travail. La précision et le minimalisme raffiné de ses pièces, pourtant réalisées à la main, ont en effet tout d’une fabrication mécanique. Les titres dont il baptise ses créations, plus que la parfaite simplicité des formes, accompagnent sa pensée poétique. Emma Fielden, l’une de nos graveuses les plus remarquables et star montante de l’art contemporain de manière générale, a pris le chemin d’une communion presque méditative avec l’argent, dont elle grave méticuleusement la surface des centaines, voire des milliers de fois. Sally Marsland, de son côté, récupère des objets de bois typiques des foyers australiens du milieu de XXe siècle pour les déconstruire. Elle leur donne ensuite de nouvelles formes, figées mais dynamiques, dont l’éloquence muette est soulignée par des touches de couleur.
Lorsque Noel Guyomarc’h m’a proposé de monter cette exposition en 2016, je n’ai pas voulu chercher de thème propre à rassembler tous ces artistes. Ce sont au contraire les différences dans les préoccupations et les approches artistiques de chacun que je trouvais intéressantes : comment un groupe d’artistes partageant la même éducation, le même environnement et évoluant au sein de la même communauté artistique en sont-ils venus à explorer une telle variété d’idées et de matériaux avec autant de langages visuels différents ?
Ce constat met en lumière une vérité essentielle au sujet de notre lointain pays : l’Australie n’est pas un lieu unique, mais plusieurs lieux réunis ; elle n’est pas une seule nationalité mais le cumul d’histoires et d’expériences plurielles. De même que le ciel des terres du sud offre généralement les plus belles observations d’étoiles – rarement visibles depuis l’hémisphère nord – nos ateliers abritent certains des artistes les plus innovants et créatifs de la bijouterie contemporaine.
Les occasions de les faire connaitre à l’étranger sont cependant très rares. Travailler sur ce projet a constitué une opportunité exceptionnelle et je remercie Noel Guyomarc’h pour cette chance extraordinaire d’exposer leur travail à un nouveau public. J’ai l’immense plaisir de présenter ici les plus brillantes étoiles de notre ciel austral : Aurora Australis.
Katie Scott
Mars 2018
L’impressionnante sélection par Katie Scott invite au voyage, à la réflexion, et à poser un regard sur de nouvelles possibilités expressives et esthétiques du bijou. Noel Guyomarc’h remercie chaleureusement Katie, de nous offrir cette chance unique, et également les artistes, qui ont répondu avec enthousiasme à l’invitation et heureux de partager avec nous leurs œuvres.