La nouvelle de Kamal A. Bouayed[1] La table d’Ilyes qui lui a valu le prix de la meilleure nouvelle francophone en 2016, suite au concours au thème « Ma vie sur Facebook » mis en place par Karim Serraj, prend comme support de narration l’art culinaire. En interrogeant l’auteur sur les raisons de ce choix, il a répondu que : « la cuisine m’a toujours fasciné étant fils d’une des plus grandes cuisinières d’Algérie, auteure de livres culinaires à succès. Je me suis inspiré de sa personne et de son vécu pour construire mon personnage de ‘Alima, une vieille dame de la Casbah avec un énorme don pour la cuisine et qui va être le centre de ma nouvelle »[2]. En effet à partir, de la rencontre avec un enfant souffrant de cécité, le lien est tissé : « La vieille Fatima passait et repassait devant le rideau de toile qui protégeait la porte de sa maison mais ne cessa de deviser ce petit garçon, frêle et recroquevillé sur lui-même, l’air têtu et sérieux, assis sur le perron de la maison d’en face. Il avait une dizaine d’années et portait des jeans délabrés et une chemise qui fut autrefois blanche. Des orteils gros et sales s’exhibaient sur le devant de sandales en piteux état. Son visage était enfoui entre ses genoux, immobile. Ses cheveux noirs et crépus semblaient assez sales. Il releva un instant la tête, mon Dieu…ce regard…il était aveugle ! »[3].

Adoption et révélation :

‘Alima mère adoptive met tout en œuvre pour qu’Ilyes puissent s’épanouir : « Les mois et les années passèrent et le petit Ilyes grandit à l’intérieur de sa nouvelle maison de la Casbah. Cela aurait dû être un nouveau commencement, une seconde vie qui s’offrait à lui. Au lieu de cela, il se réfugia à l’intérieur de sa prison pérenne, celle qui porte les stigmates de sa propre existence. Les mois et les années passèrent et le petit Ilyes grandit ainsi entre l’éducation exquise et les soins les plus attentionnés que lui prodiguait Fatima. Il lui offrait une âpre résistance certes, mais il finissait toujours par fléchir et fondre sous la douceur et le grand cœur de sa mère adoptive »[4]. Cette complicité pleine d’amour et d’attention a été ébranlée par la présence du représentant de MasterChef. « Et puis un jour se présenta chez ‘Alima Monsieur Diego Costa, le représentant du programme TV MasterChef de « La 1 », la première chaine de télévision espagnole. Comme tant d’autres avant lui, il allait tenter sa chance au risque d’être éconduit par la vieille cuisinière vers la porte de sortie.  Seulement, ce jour-là Fatima n’était pas chez elle et Ilyes lui ouvrit la porte. Diego Costa, futé comme il se doit dans son métier, n’eut aucun mal à comprendre et à mesurer l’immense aubaine qui se présentait à lui. Sa longue conversation avec Ilyes lui permit de dessiner ipso facto un plan machiavélique. Il usa d’une grande perfidie et de ruses dignes d’Ulysse pour faire parler Ilyes, pour l’amadouer, l’appâter et lui ouvrir ses yeux d’aveugle devant l’opportunité inouïe qui se présentait à Fatima et à lui ce jour-là »[5]. Suite à cette proposition Ilyes n’a plus donné de signe de vie. Le quotidien de ‘Alima est devenu des plus lugubres jusqu’à perdre la vie. Le lecteur est invité à découvrir de quel subterfuge a usé Ilyes lors de son déplacement en Espagne et à prendre connaissance du message qu’a laissé sa mère avant de mourir. L’auteur estime que : « Si l’enfant ne trouve pas dans l’adulte l’amour, le refuge et la paix alors son monde sera un océan sans rivages où le chaos l’accompagnera sa vie durant. On découvrira alors dans « La Table d’Ilyes » l’art culinaire comme trait d’union entre deux êtres, deux mondes, deux vies »[6].

Il est à rappeler que le concours a retenu les noms suivants : Le grand bleu (Imane Haddouche, Maroc), Hypocondriaque (Jean Zaganiaris, Maroc), La maison bleue (Mokhtar Chaoui, Maroc), J’ai l’honneur de refuser votre amitié (Lounja Charif, France), Le flibustier (Moha Souag, Maroc), Demain je t’écrirai encore (Stéphane Bosso, Maroc), La truie est morte (Jawhar Tazi, Maroc), Les mots vont à un grand bal poussière (Hyacinthe Kakou, Côte d’Ivoire), Facebook quand tu nous tiens (Najat Dialmy, Maroc), Réseau illimité Amid Beriouni, France), Tema (Youssef Saîdi, Maroc), La peur dans la poche (Huguette Nganga Massanga, Congo Brazzaville) La dystopie bleue (Ayoub Kinani, Maroc), Lynda Ait Bachir.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Kamal A. BOUAYED est né à Alger en 1967. Issu s’une ancienne famille d’intellectuels algériens. Son père, auteur prolifique de livres d’Histoire et d’essais autour du monde des livres, fut le premier directeur de la Bibliothèque Nationale d’Algérie. Sa mère, qui est l’auteur du célèbre Livre de la Cuisine Algérienne, fut journaliste à Algérie Actualités. Kamal A. BOUAYED a grandi constamment entouré de livres et enveloppé par l’odeur de manuscrits et d’incunables. Il est l’auteur de Les Sans-Destin, Editions ENAG-DAHLAB, Alger, 2004, Le Dernier des Livres, Editions ENAG, Alger, 2014. Son troisième roman Le berger errant, un livre différent des précédents et purement existentialiste, est en cours de publication.

[2] Entretien réalisé le 27/10/2016.

[3] Concours littéraire 2016, « Ma vie sur facebook », sous la direction de Karim Serraj, Philippe Broc et Guillaume Jobin, format Kindle emplacement 43. Livre disponible sur le site Amazon.

[4] Id, emplacement 66.

[5] Ibid, emplacement 115.

[6] Entretien réalisé le 27/10/2016.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

Read previous post:
Close