Issues des quatre coins de l’Amérique du Nord, huit personnalités noires se font entendre sur les espaces verts et la justice sociale — parce que les uns ne vont pas sans l’autre.
Les jeunesses noires canadiennes et américaines ont été successivement coupées du territoire, du plein air et du mouvement environnementaliste moderne. Aujourd’hui, elles réinvestissent la nature, un levier puissant vers la guérison, l’émancipation et la justice sociale.
Le dossier numérique Vies noires, espaces verts du média québécois BESIDE présente les histoires percutantes et les perspectives inspirantes de personnalités noires — entrepreneur.es, artistes, activistes — de Montréal à Los Angeles, en passant par Halifax et New York. Avec l’objectif d’enrichir la conversation sur le racisme systémique, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter.
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Le surf comme moyen de panser les plaies de la ségrégation? C’est l’expérience qu’a vécue la jeune journaliste et animatrice communautaire Nzingha Millar, originaire d’Halifax, qui a récemment participé à une sortie en mer très touchante en soutien à Black Lives Matter. À New York, l’horticultrice Amber Tamm raconte avoir trouvé la guérison dans l’agriculture après un événement traumatisant; elle souhaite maintenant améliorer la sécurité alimentaire de sa communauté à travers un projet hautement symbolique de ferme dans Central Park.
L’auteur-compositeur-interprète Ricardo Lamour nous présente son projet Bout du monde, dans le cadre duquel il a accompagné cinq garçons de l’Ouest de l’île de Montréal dans des lieux où, en tant que jeunes Noirs et Métis, ils n’étaient pas attendus: institutions culturelles, espaces verts, évènements politiques. De son côté, l’entrepreneur social Fabrice Vil, fondateur de l’organisme montréalais Pour 3 Points, explique l’importance d’un accès équitable à la nature.
L’éco-communicatrice et militante californienne Leah Thomas met quant à elle la lumière sur le problème d’inclusion du mouvement écologiste, qu’elle a vécu de l’intérieur. L’autrice new-yorkaise Carolyn Finney, dont les parents ont vécu la ségrégation raciale, dénonce l’invisibilité des personnes noires dans les histoires relayées par les médias, les programmes scolaires et les conversations de tous les jours sur l’environnement.
La photographe brooklynoise Naima Green signe les portraits de plus d’une centaine de personnes de couleur — des artistes, des activistes ou des membres inspirants de la communauté — dans des oasis de verdure urbaines de villes emblématiques de l’histoire des migrations noires aux États-Unis. Enfin, Phillip Dwight Morgan, poète et auteur de descendance jamaïcaine établi à Toronto, nous raconte la peur de la nature qu’il a développée dans l’enfance et sa traversée du Canada à vélo. Avec cette grande question en toile de fond: que cache le mythe canadien de la nature, finalement?
Les 8 collaborateurs :
«En randonnée, sur les pentes de ski et autour des lacs, mon corps noir se sent parfois isolé. Mes yeux cherchent activement — mais subtilement — ceux et celles dont la peau présente un taux élevé de mélanine. Et lorsqu’ils trouvent et que nos regards se croisent, nous hochons simultanément la tête d’une manière imperceptible. Comme pour nous dire mutuellement: je te vois.» Fabrice Vil, entrepreneur social – Montréal
«Je suis descendante d’esclaves cherokees et noirs. Ma présence dans les champs est associée à un traumatisme que je dois affronter, en plus du travail à faire.» Amber Tamm Canty, agricultrice Brooklyn
« La justice sociale n’est pas un complément optionnel à l’écologisme. Il est inacceptable que l’on puisse fermer les yeux sur les injustices raciales quand d’autres sont obligés de composer avec elles. » Leah Thomas, éco-communicatrice Los Angeles
« Si les personnes noires qui rêvent en vert sont loin d’être rares, elles sont pourtant pratiquement absentes des histoires relayées par les médias, des programmes scolaires ou des conversations de tous les jours sur l’environnement.» Carolyn Finney, autrice et géographe culturelle Vermont
«Récemment, des surfeurs du programme North Preston Swim to Surf ont organisé une sortie en mer en soutien à Black Lives Matter. La cérémonie a réuni près de 100 surfeurs sur la plage Martinique. En plein océan, ils ont formé un cercle et déposé des fleurs à la mémoire des vies volées, en prononçant les noms de victimes comme George Floyd et Breonna Taylor. Tous en chœur, ils ont poussé un cri de délivrance, dont l’écho s’est répercuté jusqu’au rivage. Associée autrefois à une souffrance collective, l’eau s’est transformée en lieu de guérison.» Nzingha Millar, journaliste et animatrice communautaire Halifax
«Dans les années 80, mon arrière-grand-mère a transformé un terrain vague à côté de sa maison, dans l’ouest de Philadelphie, en un jardin de fleurs et de légumes. Ce jardin était un refuge dans le paysage urbain, non seulement pour notre famille mais aussi pour la communauté.» Naima Green, photographe Brooklyn
«Je voulais désespérément être un bon nageur, mais j’éprouvais des problèmes de coordination. Peu d’enfants noirs fréquentaient la piscine et je me rappelle mon embarras lorsqu’un jour, des camarades avaient fait des commentaires sur mon ventre rond. En somme, ce lieu, pour moi, en était un d’aliénation. Avec le recul, je suis à peu près convaincu que mon rapport tendu avec la nature sauvage a pris naissance dans cette piscine, à l’époque où j’étais un garçon noir craintif.» Phillip Dwight Morgan, poète Toronto
«L’accès au beau, l’accès au grand devrait être un droit fondamental. Certains grandissent avec de l’air frais, en périphérie de Montréal et des grands centres urbains; certains grandissent avec une surexposition à la publicité, faisant en sorte que leur ciel mental ressemble à un centre d’achat.» Ricardo Lamour, auteur-compositeur-interprète et fondateur de Bout du Monde Montréal