Le roman La vie lente[1] de Abdellah Taïa met en exergue deux personnages principaux. Madame Mary et Mounir. Ils sont voisins. La cohabitation a du mal à se faire à cause des clichés qui sont ancrés dans les mentalités. L’auteur prend comme point de repère les attentats de 2015. Ces événements ont non seulement secoué les espaces mais aussi installé des clichés. En effet madame Marty a déposé plainte contre Mounir à cause d’une phrase prononcée : « Les cimentières ce n’est pas ce qui manque à Paris, madame Marty »[2]. Convoqué au commissariat, Mounir s’explique : « Je lui ai crié dessus cette phrase trois fois. Je l’ai vomie. Hors de moi. Il fallait que je gagne. Je ne pensais qu’à cela. Ne pas la laisser me manipuler encore une fois, me traiter comme son fils, vous comprenez, monsieur. Je ne suis rien pour elle. Rien. Je m’appelle Mounir, pas Julien. Et je n’habite rue de Turenne que depuis trois ans »[3].

Les similitudes qui surgissent du fond :

Lors de l’entretien[4] l’auteur Abdellah Taïa a considéré que : « Les bruits on les entend mais les êtres on ne les voit pas ». C’est le bruit que faisait madame Marty qui a conduit Mounir à dire « Les cimetières ce n’est pas ce qui manque à Paris ». Sachant que Mounir est un Arabe, toutes les mauvaises réputations lui collent à la peau, à commencer par être forcément un terroriste. Il est non seulement loin d’être un terroriste mais il s’intéresse à l’art : « Des portraits peints sur bois au 1er siècle et placés sur des momies au niveau des visages. On ne les a trouvés qu’au XIXe, bien conservés, dans la région du Fayoum, au sud du Caire. Et on les considère comme les premiers portraits peints de l’histoire de l’humanité »[5]. Les portraits de Fayoum parlent à l’humanité pour dévoiler un regard qui invite, qui rassemble, qui unit. La mort représentée dans un portrait est l’horizon vers lequel tous les regards devraient être dirigés. Elle est la fin de chaque vie malgré toute sa richesse. En tenant compte de cette vérité, madame Marty et Mounir se retrouvent à raconter leur vie. Chacun croupissait sous ses souffrances. En silence les douleurs revenaient sans cesse. Avoir perdu sa sœur Manon pendant la deuxième guerre mondiale, ne plus pouvoir voir son fils Julien. Madame Marty qui a quatre-vingts-ans tient le vécu de l’ancienne génération. Un passé lourd, qui demande à être transmis et compris par les générations à venir. À travers le personnage Mounir le marocain qui est un homosexuel, l’auteur Abdellah Taïa casse l’idée des préjugés. Il invite à dépasser l’image des apparences pour aller vers le fond qui, à force d’être touché, finit par explorer la sérénité de la transparence.

La vie lente est un roman qui donne des terrains de réflexion sur les bases de la tolérance.

Lamia Bereksi Meddahi


[1] Ed/ Du Seuil, 2019.

[2] Id, p. 11

[3] Ibid, p. 11.

[4] Le 11/03/2019

[5] Ibid, p. 185.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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