Les récentes agitations médiatiques en matière de harcèlement rappellent aux organisations de toutes sortes de s’assurer que les milieux de travail dont elles ont la responsabilité soient exempts de harcèlement, quelle qu’en soit la forme.
Plus est, toute organisation faisant fi des plaintes en matière de harcèlement, encourt non seulement des risques légaux, mais aussi des risques réputationnels tels qu’une perte soudaine de sa valeur ou une perte de son image de marque. C’est sans compter les risques de recours collectifs et autres risques légaux, en cette ère de tolérance zéro à l’égard du harcèlement.
Il est donc impératif pour toute organisation de se doter d’outils de prévention tout autant que de gestion du harcèlement en milieu de travail et ce, quels qu’en soient le statut juridique et les moyens financiers. Cette obligation s’applique donc aux OBNL, ainsi qu’aux membres des conseils d’administration de ceux-ci, puisqu’ils sont redevables des actes posés dans le cours des activités de l’organisme.
Le dirigeant harcelé
Si l’on entend plus souvent parler de harcèlement entre collègues de même niveau hiérarchique ou de harcèlement vers le bas (un supérieur immédiat usant de harcèlement envers un subalterne), il est rare qu’on entende parler de harcèlement de la part d’un subalterne à l’égard d’un supérieur hiérarchique. Serait-ce en raison de la nature taboue de cette situation ? Il faut savoir qu’il existe des situations de harcèlement au travail et ce, à tous les niveaux hiérarchiques.
La notion de harcèlement en milieu de travail
Avant de crier au harcèlement, il faut d’emblée définir les critères du harcèlement en milieu de travail. Celui-ci se définit selon cinq critères. D’abord, la conduite doit être vexatoire, se manifester de façon répétitive, survenir de manière hostile ou non désirée, porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité de la personne salariée et entraîner un milieu de travail néfaste. La conduite vexatoire se traduit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes, lesquels devront présenter un caractère répétitif, soit une continuité dans le temps. Cette conduite se veut humiliante ou abusive pour la personne qui la subit, qui la blesse dans son amour-propre, qui lui cause du tourment. C’est un comportement qui dépasse ce que la personne raisonnable estime être correct dans l’accomplissement de son travail. Le geste est donc posé par quelqu’un qui se conduit en ennemi. Le geste non désiré, quant à lui, peut être non-désiré même si l’employé n’exprime pas son refus à voix haute.
Enfin, certaines conduites bien qu’elles soient vexatoires à prime abord, pourraient devenir graves, si leurs effets nocifs sur la personne visée se perpétuent dans le temps.
Les actions à poser par l’OBNL et ses administrateurs en cas de harcèlement moral envers un cadre
Afin d’identifier les potentielles situations de harcèlement, l’employeur se doit d’être attentif aux tensions entre les personnes. Si la victime est un cadre, elle doit noter et dater les situations où elle fut victime d’intimidation et y intégrer une preuve documentaire (courriel, texto ou autre). Si des personnes sont témoins de la scène, elle doit conserver leur nom, coordonnées et leur rôle dans l’entreprise. La tenue de rencontres individuelles avec le personnel pour discuter du climat de travail et de ses attentes s’avère un bon point de départ pour avoir un portrait global de la situation. Une fois cela fait, dresser une liste des éléments déclencheurs des situations de harcèlement. Dans le cas de départ précipité d’un membre du personnel, contactez ledit employé afin de connaître les raisons de son départ. Après avoir récupéré les éléments utiles, dresser un bilan des événements survenus au cours de la dernière année en y indiquant le nombre de plaintes, leur nature, le taux d’absentéisme des plaignants et le taux de roulement du personnel, permettra d’éviter les oublis et de produire un dossier étoffé en cas de recours judiciaire ou autre.
Après avoir dressé un état de la situation, le cadre doit d’abord informer la personne concernée que son comportement est indésirable et que celle-ci doit y mettre fin. Le cadre doit de plus, noter la date et les détails des incidents ainsi que les démarches effectuées pour tenter de régler la situation. Dans le cas où le harcèlement se poursuit, le cadre doit alors, signaler la situation à l’un des membres du conseil d’administration. Le signalement peut être fait de manière verbale, mais il est préférable que ce dernier soit écrit et transmis par moyen vérifiable, afin de conserver des preuves en cas d’inaction de la part des administrateurs. L’écrit permet non seulement de conserver des preuves de la dénonciation, mais il permet beaucoup plus de détails et de précision.
La responsabilité des membres du C.A. en cas de harcèlement
Il est de la responsabilité de l’administrateur de prendre connaissance du document de dénonciation remis par le cadre, dans un premier temps, mais il doit de plus, faire en sorte que la situation de harcèlement cesse le plus rapidement possible, sinon, immédiatement. Il importe de protéger la confidentialité du processus d’intervention et ce, afin d’éviter la formation de clans au sein de l’entreprise. L’administrateur doit également rencontrer les personnes concernées, en vue de régler la situation, en vue d’obtenir des informations supplémentaires. Il devra de plus, mener une enquête objective sans tarder, ou en confier la responsabilité à un intervenant externe. Les personnes concernées seront informées de la conclusion de cette démarche. Finalement, l’administrateur devra prendre toutes les mesures raisonnables pour régler la situation, y compris notamment les mesures disciplinaires appropriées envers l’employé fautif, puisque dans le cas où la victime est un cadre, il appert que l’employé obtempérera difficilement à la demande de la victime.
Les recours légaux possibles
Puisque les cadres sont rarement syndiqués, les recours consistent essentiellement en une plainte auprès de la CNESST ou les recours à la cour civile, sauf dans le cas où des menaces de mort ou de voies de faits auraient été proférées, ce qui, dans ce cas, requiert une intervention policière, puisqu’il s’agit d’un geste criminel.
Le refus d’agir des membres du C.A. en cas de signalement
La société a évolué. Aujourd’hui, personne ne peut se permettre d’être complice dans la tolérance de comportements inacceptables, en cachant qu’un salarié a posé des gestes inconvenants à l’endroit d’un cadre ou en ignorant la plainte. À titre de gardien des valeurs de l’OBNL, le conseil d’administration doit s’assurer que les employés adoptent des comportements éthiques, mais aussi, offrir à ses employés, incluant les cadres, un climat de travail sain. En bref, le conseil doit donner le ton.
En cas de plainte auprès du Tribunal administratif, si ce dernier conclut que l’employeur n’a pas pris les moyens pour prévenir ou régler une situation de harcèlement psychologique, il pourra lui ordonner, entre autres : de réintégrer l’employé à son poste si ce dernier a été congédié en raison des agissements du harceleur; soit le condamner à verser une somme d’argent à la victime pour le compenser pour la perte d’emploi et ou le préjudice moral; ou pour le faire soigner suite à ce qu’il a vécu et prendre les moyens pour que le harcèlement arrête.
Si l’entreprise n’obtempère pas à la décision judiciaire, les administrateurs pourront devoir payer personnellement les sommes demandées.
Martine Dallaire