L’empire américain, malgré les crises successives qui le secouent, depuis les attentats terroristes aux procédures de destitution en passant par les émeutes raciales, est loin d’être sur son déclin. Il est plutôt en train d’accroître son pouvoir sur le monde, et ce, d’autant plus aisément qu’il travaille à sa propre dématérialisation, qu’il s’investit – chose inédite – dans l’ordre invisible, qui est celui de la pensée, du désir, de l’imagination. En effet, cet empire ne domine plus tant par la force encore immense de ses armées et de son économie que par sa culture qui nous la masque et qui a été intériorisée par tous, y compris par ceux qui se disent ses adversaires. Il domine par le pouvoir des images et des discours, des histoires et des rêves qu’il dispense, et plus encore, par le pouvoir des innombrables réseaux qu’il déploie sur le monde comme autant de filets (ou de webs) qui l’enserrent et le retiennent, le nourrissent et le traversent.
L’empire invisible est la démonstration de cette vérité énoncée par Kafka, à savoir « qu’on ne peut pas briser des chaînes quand il n’y en a pas de visibles ». Le mérite de cet essai est précisément de nous rendre visibles ces chaînes. Il ne s’agit plus de savoir s’il faut embrasser l’américanité ou la refuser, comme si nous avions encore le choix, mais de prendre la mesure de l’influence que l’empire exerce sur nos vies, de reconnaître que nous entretenons avec lui une relation vitale, qui déploie la « matrice » qui fait de nous ce que nous sommes.
Mathieu Bélisle est essayiste, chroniqueur et professeur de littérature au Collège Jean-de-Brébeuf. Il a publié Bienvenue au pays de la vie ordinaire (Leméac, 2017), qui a reçu un accueil unanimement favorable.
En librairie le 7 octobre I 240 pages I 24,95 $