C’est la version restaurée (distribuée par l’ONF) qui a été projetée à la 53e édition du Festival du nouveau cinéma de Montréal, 50 ans après sa sortie en 1974, le film de Michel Brault, Les Ordres, n’a rien perdu de sa force, toujours percutant et d’une portée universelle.

Ce grand classique du cinéma québécois restitue, dans une « fiction documentée », les récits des gens qui ont été incarcérés pendant la Crise d’octobre 1970. Suite aux enlèvements, à sa demeure de Westmount (Montréal) de l’attaché commercial du consulat général du Royaume-Uni, James Richard Cross, par le Front de libération du Québec (FLQ), et du ministre provincial du Travail Pierre Laporte par la cellule Chénier, la mise en place de la Loi sur les mesures de guerre a entrainé l’arrestation et l’emprisonnement de 450 personnes. En effet, l’objet de ce film ne porte pas sur les évènements de cette crise, mais plutôt sur la répression qui en a découlé, une décontextualisation qui permet de se focaliser sur cette répression, comme solution sécuritaire face aux revendications politiques.

En journaliste-enquêteur, Michel Brault a interviewé une cinquantaine de personnes victimes de cette répression d’envergure, orchestrée par plus de 12 000 policiers et soldats de l’armée canadienne. À partir de ces témoignages accablants, la fiction permet de suivre cinq personnages (trois hommes et deux femmes) de leur arrestation jusqu’à leur libération, avec un seul mot d’ordre des policiers : le fameux « ce sont les ordres ».

L’approche adoptée par Michel Brault pour nous restituer ces témoignages est originale, plaçant le téléspectateur entre le réel et sa représentation, avec une certaine distanciation qui suscite l’analyse et la réflexion. Les témoignages portent sur des récits de citoyens ordinaires et non pas sur des politiques et activistes, victimes de l’arbitraire de la machine répressive de l’État uniquement par suspicion. La sobriété des récits confère une grande crédibilité aux évènements rapportés et aux témoignages, restitués par la voix des personnages dans une reconstitution fidèle des entrevues. Le scénario brosse un tableau sombre de l’expérience traumatisante vécue par les victimes (rafles, emprisonnement, interrogations, humiliations, tortures et même simulacres d’exécution), et dresse un porterait complexe de la mécanique répressive de l’État.

Le contexte de la Crise d’octobre 1970 peut ne pas évoquer grand-chose pour les jeunes générations, mais le docufiction de Michel Brault établit des parallèles intéressants avec des enjeux contemporains, notamment les libertés individuelles, la répression des mouvements politiques contestataires et la menaces pesant sur la démocratie.

L’utilisation abusive des pouvoirs d’urgence par les États, comme le montre le film à travers des scènes poignantes de rafle, de détention, de maltraitance et d’humiliation, peut basculer dans l’arbitraire et l’injustice. Sous prétexte de la sécurité nationale dans des contextes sociopolitiques différents (terrorisme, pandémie, mouvements de protestation sociale…), des régimes politiques, sans garde-fous solides, s’octroient des pouvoirs excessifs et mettent en péril les droits civils et la démocratie même dans les pays où ces acquis sont bien établis. La répression musclée des mouvements de protestations au Canada (Convoi de la liberté) et en France (mouvement de Gilets jaunes) est illustrative à cet égard. La répression des mouvements contestataires et la marginalisation des revendications politiques peuvent affecter la cohésion sociale et l’unité nationale.

Les Ordres, par sa sensibilité et son contenu, a profondément marqué les esprits et l’imaginaire des Québécois. Par son devoir de mémoire, il met en lumière une époque sombre de l’histoire du Québec et, par les questions essentielles qu’il soulève encore aujourd’hui, il est incontestablement universel et intemporel. Le film de Michel Brault est une œuvre engagée et poignante, un acte politique vital contre l’oubli et pour une mise en garde contre les abus de pouvoir et sa brutalité dans un monde secoué par des crises politiques, sociales et environnementales.

Sofiane Idir

Read previous post:
SAFIA NOLIN : un nouvel album UFO Religion!👽

Safia Nolin déballe huit nouvelles chansons qui forment un album, UFO RELIGION. Créé dans la peur, en mode survie, ce...

Close