Inspiré d’une soirée vraie, Louisiana[1] est une bande dessinée aux contours historiques qui rend hommage au courage de celles et ceux qui ont fait l’Amérique d’aujourd’hui. Actualités oblige, l’œuvre fait écho au mouvement Black Lives Matter qui milite contre le racisme systémique envers les Noirs en Amérique.

D’ailleurs vu de l’extérieur des États-Unis, lorsque l’on entend parler de l’affaire George Floyd, on peut légitimement se poser des questions sur le vivre-ensemble dans un pays qui a réussi à élire un noir à la présidence du pays [à travers la personne de Barack Obama], mais qui reste profondément gangrenée par des enjeux liés à la couleur de la peau.

Un second volume envoutant

En librairie depuis le mois de mars de cette année au Québec, le deuxième volume de Louisiana continue donc à livrer les secrets sur lesquelles s’est bâtit la fortune de la famille Soral.

Après un premier album qui nous permettait de découvrir toute une société à travers une saga familiale qui débute en 1805 dans une plantation aux alentours de la Nouvelle-Orléans, nous plongeons de ce second numéro au cœur du sombre passé des femmes de cette famille, qui ont forgé à leur façon leur destinée dans une société qui rappelons-le, était profondément misogyne.

Nous sommes en 1961 à la Nouvelle-Orléans. Louise qui est à sa retraite, se confie auprès de sa gouvernante. Elle feuillette des vielles lettres familiales datées du 19e siècle. Son arrière-grand-père Augustin Maubusson avait débarqué avec son épouse Laurette et leurs enfants dans le sud des États-Unis pour cultiver la terre. Seulement voilà, le pays a changé cette famille et les malheurs se sont abattus sur eux génération après génération.

Marie Laveau une adepte du culte vaudou et proche de la famille influence les décisions de Lorette et de Joséphine sa fille pour régler leurs problèmes matrimoniaux. Pour la mère et sa fille, il est important de bien cultiver sa position sociale. 

Noir et blanc : source de tension

Le brassage ethnique n’est pas toléré par les deux femmes surtout lorsqu’il s’agit de partager leur couche comme ce fut le cas d’Augustin l’époux de Lurette ou concernant Jean, le fils de Joséphine qui s’amourache de Caliste (une noire) avec qui il a un garçon qui porte le nom de Lazarus.

Sa mère le menace : « Si tu pars avec eux, je te ferai arrêter pour vol d’esclave. Tu seras fouetté et Caliste sera pendue ».

Joséphine se tourne vers Caliste et lui dit : « Quant à toi, je ne tolèrerai aucune ingérence dans le mariage de mon fils si tu ne souhaites pas être revendue à un planteur moins regardant au bien-être de ses esclaves ».

Jean acquiesce malgré lui la décision de sa mère et quitte la ferme familiale pendant quelques mois. À son retour, il lui annonce qu’il son future mariage avec Émilie Villebois dont les parents sont propriétaires d’une plantation dans la paroisse de Natchitoches. Joséphine est convaincue que la jeune femme sera parfaite pour son fils.

Seulement voilà, même si Émilie est la fille d’un planteur blanc très respecté, elle reste néanmoins une métisse aux yeux de Joséphine qui dit à son fils : « Elle n’en n’est pas moins noire ! ».

Ensemble ils auront une fille qu’ils prénommeront Louise. 

Les auteurs

On se doute bien que pour arriver à livrer autant de détails dans la narration, il y a tout un travail de recherche historique qui a été fait en amont de la part de Léa Chrétien qui a l’idée d’écrire cette histoire après un voyage dans le sud des États-Unis.

Le récit qui bien qu’il place les femmes au cœur de l’œuvre rappelle la fragilité de leur position sociale, ce qui les obligent à s’entourer des hommes même si ces derniers sont défaillants. La scénariste a conscience que le « qu’en-dira-t-on » à cette époque. Voilà pourquoi, Léa Chrétien prend pour témoin Louis le personnage de Louise qui découvre dans des vieilles lettres les histoires scabreuses de sa famille plus d’un siècle plus tard. La scénariste tient les lecteurs en haleine en divulguant un peu plus des secrets bien gardés.

Pour donner vie à ses personnages, le travail de maitre de Gontran Toussaint nous transporte dans cette Amérique qui est loin de nous faire rêver. Le bédéiste qui affiche une solide maîtrise des codes graphiques, est à cheval sur les détails pour nous faire découvrir aussi bien la Nouvelle-Orléans que les champs de cotons. Rien n’échappe à celui qui a déjà travaillé aux côtés de Renaud Garreta et Laurent Granier sur la série historique Reporter. Plus que tout, on se rend compte de la qualité des dessins à travers le regard des personnages qui sont en quelque sorte des témoins des épreuves qu’ils ont vécu et du temps qui passe.

En attendant le troisième et dernier volume de la série, les lecteurs peuvent découvrir chez Dargaud les deux premiers numéros de cette histoire qui nous transporte dans une autre époque.

Réda Benkoula

[1] Louisiana : la couleur du sang T.2 | Par Léa Chrétien & Gontran Toussaint | Dargaud | 2021 | 56 pages

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