Souverains anonymes L’activité audio-visuelle des détenus de l’Établissement de Détention de Montréal

C’est la fin, mais ce n’est pas fini!

Ce jeudi 27 mars 2025 à 16h30, je quitte la prison pour toujours!
Ma sentence aura duré plus de 35 ans! Comme dirait un de mes Souverains « La liberté, c’est de choisir sa propre prison ».

Le 11 décembre 1989, j’ai choisi la prison de Bordeaux comme un lieu de liberté. La liberté d’en faire un château, avec des Souverains. Un mois auparavant, le mur de Berlin venait de tomber. La chute d’un mur n’était plus une chose impossible. Grâce à la magie de la radio, celui de Bordeaux devait suivre. En tendant un micro aux incarcérés, j’ai fait le choix de la folie et de la confiance « Je vais croire en vous plus que vous ne croyez en vous-mêmes! Devant mon micro, vous êtes désormais Souverains de votre parole, de votre destin. Souverains de votre dignité ».

Tout l’honneur et le privilège pour moi, c’est d’avoir eu accès, durant toutes ces années, au meilleur de ses hommes, à la part lumineuse en chacun d’eux et d’avoir pu la diffuser sur les ondes d’une trentaine de radios communautaires ici et ailleurs. Aujourd’hui, disponible sur le web, voix et images! www.souverains.qc.ca

« J’ai passé 35 ans de ma vie à réinventer le langage des Souverains en les invitant à écrire des chansons, des poèmes, des réflexions et des témoignages. J’ai fait le choix de ne diffuser de leur imagination fertile que ce qui brille, ce qui prépare une belle sortie, ce qui augure un bel avenir, ce qui raconte de belles histoires! J’ai fait entrer la culture en prison par des artistes importants pour donner aux détenus un sentiment d’importance, pour qu’ils cultivent l’estime de soi, pour qu’ils entament un chemin de guérison! Pour qu’ils se débarrassent du réflexe victimaire qui les habitent depuis l’enfance! Pour que leurs imaginations et leurs créations soient au service de leur épanouissement. Pour qu’ils apprennent à construire une parole responsable! Et à force de rappeler ces hommes à ce qu’ils ont de beau et de bien, j’ai été souvent un témoin privilégié de leur transcendance.

J’ai vu un détenu réaliser son rêve de devenir ingénieur aéronautique. Je l’ai suivi dans son parcours passant d’une classe du centre de formation à Bordeaux à une classe de l’université. Je l’ai entendu dans mon programme radiophonique exprimer ses rêves en poésie.

Oui, j’ai vu le meilleur se manifester au cœur du pire! » (Extrait d’un prochain livre).

Pour pouvoir donner au « meilleur » l’occasion de se manifester et de s’exprimer au cœur d’une prison, j’ai été supporté par des anges-gardiens. Dans chaque prison, il y a des gardiens et des anges-gardiens. Ces derniers se trouvent autant parmi les gardiens, les gestionnaires, les secrétaires, les aumôniers, les éducateurs, les cuisiniers que parmi les détenus et les prévenus. C’est grâce à ces femmes et ces hommes, des perles rares dois-je préciser, que j’ai pu tenir le coup dans un système devenu avec les années lourd, très lourd de cette chose qu’on appelle la sécurité qui n’a au fond rien de sécuritaire. Le taux de récidive en est l’illustration.
Je ne remercierais jamais assez ces rares pacificateurs de faire de leur mieux pour rendre la vie vivable dans un milieu où le meilleur et le pire de l’homme se font une guerre sans merci. Nicole Quesnel, Arthur Fauteux et Euclide Laliberté ont été les premiers ange-gardiens à m’ouvrir la porte de Bordeaux ce 11 décembre 1989.

Oui, en 35 ans, j’ai vu aussi, le pire se manifester au cœur du pire! Je n’en parlerais que dans le cadre d’un débat de société avec cette question que tôt ou tard un devoir moral nous dicte de se la poser « À quoi sert une prison? Pour punir ou pour guérir? »! Et si cela peut se faire dans le cadre d’une commission non partisane, ça serait encore mieux!

Le 12 décembre dernier, à l’occasion du 35e anniversaire de Souverains anonymes, Kastar, un de mes Souverains, m’a fait le cadeau d’un rap avec ce beau refrain, « C’est la fin, mais ce n’est pas fini ». Il ne pouvait pas mieux dire, mieux chanter, mieux envisager. www.souverains.qc.ca/35ans

Ce n’est pas fini, d’abord, parce que Souverains anonymes est aussi un nouveau site web qu’une fidèle auditrice a qualifié de mine d’art. Le site, dans sa nouvelle version, depuis le 30e anniversaire constitue un petit patrimoine culturel. 35 ans d’archives audios et visuels y sont accessibles. www.souverains.qc.ca

Ce n’est pas fini parce que la station CIBL continue de diffuser les meilleurs émissions chaque jeudi à 20h sur le 101,5 FM.

Ce n’est pas fini, parce que j’en ai encore pour plusieurs mois, voire des années à monter et diffuser des émissions qui abordent particulièrement la question de la réhabilitation. Un sujet absent de nos débats publics, dois-je le rappeler. Un sujet que les grands médias ont le don de ne pas savoir par quel bout aborder. En cette journée particulière, une prison, pour en sortir aussi, c’est le vœu le plus cher que je nous souhaite comme société.

Ce n’est pas fini, parce qu’après Vols de temps, un deuxième livre est en route.
Ce n’est pas fini, parce qu’après la toute dernière rencontre des Souverains avec l’ex Gouverneure Générale du Canada, Michaëlle Jean, le 20 mars dernier, j’ai eu la forte impression que ce n’était pas vraiment fini. Sa Fondation aurait beaucoup à offrir, notamment dans le milieu carcéral, en matière de lutte contre l’exclusion, le racisme et les discriminations sociales. Cette rencontre avec Michaëlle Jean sera en ligne le même jour que mon départ à la retraite, jeudi le 27 mars.

C’est la fin, parce que je n’ai nullement l’intention de remettre les pieds à la prison de Bordeaux. Mais ce n’est pas fini, parce que des milliers d’ex détenus se déclarent encore fièrement « Souverain un jour, Souverain toujours »!

Mohamed Lotfi

Depuis 35 ans
Depuis l’aube des temps
Nous sommes libres à voler du temps
À la mort et au silence
À l’indifférence
Nous sommes libres de sculpter les mots
Les réhabiliter
Les chanter
Les partager

Depuis 35 ans
Depuis très longtemps
Nous sommes libres de recevoir
Libres de faire savoir
Libres d’écrire
Libres de dire
Libres d’oublier
Libres de maudire
Libres de voler du temps
Au temps

Il y a 35 ans
Elle est arrivée juste à temps.
Entre les murs et les murmures
Une ouverture
Entre les pierres et les anges
Un libre-échange
Libres de parler
Libres de se taire
Libre de faire la paix
De dénoncer la guerre
Libre de dire la vérité
Libre de l’emprisonner
Libres de voler du temps
Au temps

Un micro dans la main droite
Un poème dans la main gauche
Voici le chant des souverains
Le chant des mésanges

On te salue Nicodème
Un Souverain parmi les anges

Nicodème Camarda
1959 – 2023

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