Le 1er février dernier avait lieu la soirée d’ouverture de la Sentinelle #2 : Pour l’avenir, dont l’objectif est de creuser et approfondir une question qui, déjà en 2019, était en filigrane de la programmation du Chantier féministe : comment déployer les leaderships des femmes en théâtre?

À l’occasion de cette deuxième sentinelle, ESPACE GO a rencontré les conseils des arts, la majorité des écoles de formation ainsi que le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) afin de faire un suivi quant à l’application des 9 recommandations formulées au terme du Chantier féministe de 2019. La codirectrice générale d’ESPACE GO, Mayi-Eder Inchauspé, a fait pour nous l’état des lieux.

À ce jour, seulement trois des recommandations ont été mises de l’avant : la création d’un prix soulignant les réalisations des créatrices en théâtre, l’utilisation du langage épicène et non sexiste dans les communications écrites, de même que la création d’outils statistiques sur le genre et la parité femmes-hommes. Créé il y a quatre ans, le prix Jovette-Marchessault est assorti d’une bourse de 20 000 $ offerte chaque année par le Conseil des arts de Montréal, en rotation sur trois ans selon la fonction artistique de metteuses en scène, conceptrices et autrices en théâtre. Une majorité des compagnies de théâtre utilise aujourd’hui un langage inclusif dans ses communications. Après les recherches des membres du mouvement des Femmes pour l’Équité en Théâtre (FET) en 2016 sur la place des femmes en théâtre et le chantier féministe de 2019, la Sentinelle #2 est l’occasion d’une mise à jour des statistiques sur la parité dans le milieu théâtral.

« Si la mobilisation et les recherches des Femmes pour l’Équité en Théâtre (FET) a permis en 2016 d’éveiller les consciences sur les inégalités criantes auxquelles sont confrontées les autrices et les metteuses en scène dans le milieu théâtral québécois, le chantier féministe de 2019 aura déposé un autre jalon et contribué à accélérer la prise de conscience sur la nécessité de valoriser par des actions concrètes le potentiel des femmes artistes. Saluons les avancées d’aujourd’hui tout en prenant acte qu’il reste encore tout un chemin à parcourir, que rien n’est acquis. » – Mayi-Eder Inchauspé
Par la suite, Morad Jeldi a présenté les trois axes de la recherche.
L’Axe 1 est la mise à jour statistique de la présence des femmes dans le milieu théâtral.
De 2012 à 2017, des 151 pièces qui ont été présentées sur les scènes francophones à Montréal et à Québec, seulement 19 % des textes et 19 % des mises en scène ont été confiés à des femmes. Pour les saisons 2017-2018 et 2018-2019, elles n’étaient responsables que de 37 % des textes et de 33 % des mises en scène.
Depuis 2021, en ce qui a trait aux autrices et aux metteuses en scène, on est dans la zone partiaire dans la programmation des 17 théâtres de Montréal et Québec qui ont fait l’objet de l’étude. On remarque donc aujourd’hui certaines avancées.
Pour ce qui est des prix de reconnaissance et de la présence de femmes ou d’œuvres de femmes dans les établissements d’éducation en théâtre, on sent un éveil de conscience depuis le chantier féministe de 2019 alors qu’on atteint en 2021 presque la parité dans ces domaines.
À l’heure du renouvellement de plusieurs directions artistiques de théâtre, constatant que peu de femmes ont accédé à ces postes ces dernières années au Québec, et aucune femme racisée, le comité de pilotage (formé d’artistes, de chercheuses, de travailleuses culturelles et de directrices artistiques) dégage deux nouveaux axes de recherche qui leur apparaissent nécessaires et urgents de soulever : Axe 2, l’accession pour les femmes à la direction artistique d’une institution théâtrale et, Axe 3, la présence et l’accès à la diffusion dans les théâtres institutionnels pour les metteuses en scène racisées. Cette portion de recherche repose sur les témoignages de femmes artistes de tous horizons.

L’Axe 2 de la recherche porte sur l’accession pour les femmes aux postes de direction.
CONSEILS D’ADMINISTRATION
Lorsqu’on regarde l’ensemble des membres des 17 CA des institutions théâtrales étudiées, la zone paritaire (40-60 %) est atteinte avec 55 % de femmes administratrices (114) et 45 % d’hommes (94) au 1er septembre 2022. Un seul théâtre n’atteint pas la zone paritaire (36 % d’administratrices) au sein de son conseil d’administration et un autre dépasse la zone paritaire avec un CA exclusivement féminin.
DIRECTIONS GÉNÉRALES (DG)
Pour plusieurs institutions étudiées, la direction générale est assumée par deux personnes (souvent partagée avec la direction artistique). Dans ce cas de figure, les deux personnes ont été comptabilisées.
En regardant les 24 personnes qui composent les DG des 17 théâtres étudiés, 50 % sont des femmes (12) et 50 % sont des hommes (12) au 1er septembre 2022. Au sein de ces 17 institutions, 7 DG sont des codirections partagées par deux personnes (1 est exclusivement féminine, 3 sont exclusivement masculines et 3 sont mixtes). Sur les 12 femmes occupant la DG d’un théâtre, selon nos connaissances, aucune n’est racisée.
DIRECTIONS ARTISTIQUES (DA)
La zone partiaire n’est pas atteinte au sein des DA des 17 théâtres étudiés : sur les 29 personnes qui composent les 17 DA de ces institutions, seulement 38 % (11) sont des femmes contre 62 % d’hommes (18) (au 1er septembre 2020).
Ce portrait général mérite toutefois d’être précisé, car ces chiffres ne tiennent pas compte du roulement des directions artistiques. En effet, lorsqu’on regarde les nominations et les changements des DA, le portrait est nettement moins paritaire :
Au cours des 10 dernières saisons, les 13 changements de direction artistique (en excluant la direction collégiale paritaire du Théâtre aux Écuries) ont permis à 12 hommes de devenir DA contre seulement 4 femmes (en comptant les codirections artistiques).
Au cours des 30 dernières saisons, 5 théâtres parmi les 17 étudiés n’ont été dirigés que par des hommes (6 si l’on prend les 29 dernières saisons), et ce, malgré que ces 6 théâtres à eux seuls ont changé 13 fois de DA depuis la saison 1993-1994.
Au cours des 30 dernières saisons, 2 théâtres ont exclusivement été dirigés par des femmes, et ce, sans renouvellement. À ces deux théâtres, il est possible d’ajouter un troisième théâtre dirigé depuis par la même directrice artistique depuis 19 saisons.
Fait nouveau, la recherche a identifié de nombreux freins à la mise en candidature, dont le manque de représentativité des DA actuelles, le manque de reconnaissance des formations et des parcours atypiques, le manque de transparence des processus de sélection et les comités de sélection non paritaires. La recherche propose quelques pistes de solutions comme annoncer les étapes du processus dès l’affichage du poste, diversifier les comités de sélection, exclure la DA sortante du comité de sélection, offrir de la formation en direction artistique (ce qui n’existe pas), mieux préciser les attentes et fixer la durée du mandat.

L’Axe 3 de la recherche porte sur les freins que rencontrent les metteuses en scène (m.e.s) racisées pour accéder aux théâtres institutionnels au Québec.

Si les m.e.s racisées et issues de l’immigration sentent que les portes des institutions sont fermées ou frileuses à diffuser leurs œuvres, comment peuvent-elles s’imaginer diriger un jour ces mêmes institutions?
Des freins ont également été identifiés du côté des metteuses en scène racisées, dont la faible reconnaissance des m.e.s racisées, le manque de reconnaissance des formations et expériences à l’étranger, le rapport au français discriminant et instrumentalisation de la diversité. Des pistes de solutions ont été émises, comme s’assurer que les responsables de la diffusion, les distributions et les équipes soient représentatives de la diversité de la population, s’assurer de ne pas « ghettoïser » les m.e.s racisées dans les programmes des conseils des arts dédiés à la diversité, multiplier les occasions de rencontres entre m.e.s racisées d’une part et entre les m.e.s racisées et les responsables de la diffusion d’autre part, multiplier le jumelage de m.e.s racisées avec des artistes établis (ex: mentorat, stage de perfectionnement) afin de mieux s’insérer dans les réseaux professionnels, et répertorier les m.e.s racisées œuvrant à Montréal/Québec.

Le rapport final de la recherche sortira dans quelques semaines. Il sera remis à toutes les instances du milieu théâtral et aux conseils des arts. Il sera également disponible sur le site du Théâtre ESPACE GO.
La soirée s’est terminée par une performance musicale de Mamselle Ruiz, qui a offert une version bouleversante d’une chanson phare du répertoire d’Anne Sylvestre, Une sorcière comme les autres.
Au cours des prochaines journées de la Sentinelle #2, des femmes artistes belges du Colletif F.(s) viendront parler de nouveaux modèles de direction artistique et des manières de rendre plus transparents et éthiques les processus de sélection pour y accéder. Cette rencontre sera suivie de l’atelier Ouvrir les possibles pour briser les résistances qui empêchent un réel changement pour permettre l’accession des femmes – et plus particulièrement des femmes racisées – aux postes de directions artistiques ou même à la programmation des lieux de diffusion institutionnalisés. On parlera de l’agence « On est là », dont le but est de mettre en lumière la richesse de la diversité des talents qui y œuvrent et du Bottin des artistes asiatiques. Il sera aussi question des obstacles réels auxquels font face les artistes issu•es de l’immigration dont le français n’est pas la première langue. Lors de la dernière journée, il sera question de tokénisme, aussi appelé « diversité de façade », qui fait référence à la pratique à laquelle un groupe ou un organisme a recours afin d’inclure des personnes des minorités dans le but de pouvoir paraître inclusif.

Nous remercions chaleureusement nos partenaires le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des arts de Montréal qui ont permis la réalisation de cet événement.
COMITÉ DE RECHERCHE
Ligia Borges
Chargée de projets, pôle création et adjointe à la direction artistique d’ESPACE GO

Emeline Goutte
Chargée de projets, pôle création et adjointe à la direction artistique d’ESPACE GO
Margarita Herrera Dominguez
Metteuse en scène, travailleuse culturelle
Mayi-Eder Inchauspé
Codirectrice générale et directrice de l’administration d’ESPACE GO
Morad Jeldi
Chercheur
Camille Messier
Metteuse en scène, dramaturge et chercheuse
Ginette Noiseux
Codirectrice générale et directrice artistique d’ESPACE GO et conceptrice de costumes

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