Une vaste enquête réalisée auprès de 740 organismes et regroupements d’action communautaire autonome (ACA) révèle les impacts majeurs qu’a eu la pandémie sur ces organisations, la façon dont elles s’y sont adaptées et de quelle manière elles entrevoient l’avenir. Intitulée Effets de la crise sanitaire sur le milieu communautaire – Portrait de la situation pour les organismes du Québec, l’étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) montre la réalité vécue pendant la première vague par les organismes de toutes les régions de la province et dans tous les secteurs d’activité.
Le communautaire fait aussi partie du filet social
Avec la première vague de la pandémie au Québec, la majorité des organismes communautaires sondés ont dû se limiter à offrir des services directs puisque les besoins pour ceux-ci ont énormément augmenté. Il s’agit principalement de travail d’accueil, de référence et de dépannage alimentaire et matériel. En dispensant ces services pour répondre aux besoins de base des populations touchées, les organismes se sont substitués à un État, absent sur le terrain, qui a profité de ce travail à moindre coût. Ce travail s’appuie notamment sur le bénévolat et le travail précaire, alors que les femmes et les personnes non binaires comptent pour 79 % des employé•e•s.
Un frein à la mobilisation
Avec des activités se concentrant à répondre aux besoins urgents, les organismes ont notamment dû mettre de côté leurs activités de levée de fonds (96,7 %), de mobilisation sociale (84,9 %) et de représentation (70,9 %). Ces activités sont pourtant essentielles pour réaliser l’entièreté de leurs activités et constituent des aspects fondamentaux de l’ACA.
« Le gouvernement a beaucoup parlé d’anges gardiens ces derniers mois. Les travailleuses du communautaire font clairement partie de notre filet social. Depuis le début de la pandémie, les groupes se sont beaucoup rabattus sur le fait d’offrir des services d’urgence. Ça se fait aux dépens de la mobilisation sociale et des conditions de vie des travailleurs et des travailleuses et des bénévoles du communautaire. Pour 71,7 % des organismes, il y a même une forme d’exode des personnes militantes et bénévoles, alors que leur nombre a diminué pendant la première vague [tableau 25]. Malgré tout, le communautaire répond aux besoins alors que l’État n’était pas en mesure de le faire », déplore Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’IRIS et co-autrice de l’étude.
Un modèle solide malgré le sous-financement
Malgré un sous-financement chronique, la pandémie a montré la résilience du modèle québécois d’ACA. Bien que largement insuffisant, le financement à la mission permet d’éviter que les groupes communautaires deviennent simplement des organismes de services. Cumulé aux programmes d’aide liés à la pandémie, il a permis aux organismes de mieux s’en sortir qu’ailleurs au Canada. Toutefois, bien que 48,2 % [graphique 14] des groupes s’estiment en bonne posture financière et 69,7 % [graphique 15] que leur capacité d’action sera forte pour l’année en cours, 16,8 % d’entre eux se disent en situation précaire et 6,8 % remettent même en question leurs activités.
La résilience a un coût humain
Plus de deux tiers des organismes mentionnent une charge de travail difficilement réaliste (67,9 %), un sentiment d’accomplissement plus dur à atteindre (69,1 %), un équilibre travail-famille plus difficile à trouver (65,5 %). À cela s’ajoutent les problèmes d’isolement liés au confinement, la capacité de connexion variable selon les lieux de résidence et les aptitudes technologiques. C’est sans compter la perception d’augmentation de l’isolement (96,3 %), de l’anxiété (96,6 %) et des besoins de soutien social (92,5 %).
« La pandémie c’est un révélateur aussi pour le monde communautaire. La bonne nouvelle, c’est qu’on se rend compte que la structure est plus solide qu’ailleurs. La mauvaise, c’est l’impact sur les travailleurs et les travailleuses. D’un côté, le financement à la mission permet une stabilité et une récurrence et dégage les organismes prestataires de devoir conformer leurs activités aux priorités ponctuelles et politiques des gouvernements. De l’autre, on a des travailleuses épuisées qui ressentent une perte de sens au travail et peinent à composer avec une charge très grande », analyse Maxim Fortin, chercheur à l’IRIS et co-auteur de l’étude.
Source : IRIS