Dans le cadre de la révision de la Loi C10, l’Union des producteurs et productrices du cinéma québécois vient de déposer un mémoire auprès du Comité permanent du patrimoine canadien après s’être prononcée publiquement sur le même sujet en novembre dernier. Tout en déplorant l’absence de considérations accordées à la langue française, elle salue les demandes unanimes du milieu culturel francophone qui vont dans ce sens mais n’est pas pour autant rassurée que la loi dans sa proposition actuelle veille à pérenniser le fait français au pays. Pourtant, le Canada s’est bien engagé devant l’Unesco à agir « sur la question cruciale de la survie des langues dans le cyberespace (…), y compris les langues maternelles. »
L’UPPCQ déplore toujours le fait que, même s’il s’agit d’intégrer du contenu canadien dans les modèles transnationaux actuels, ce que propose la loi C 10 favorise plutôt l’uniformisation des contenus pour s’adapter à l’offre mondialisé en ligne asservie à des compagnies étrangères sans aucune spécificité culturelle nationale. Bref, l’UPPCQ déplore que la création de produits artistiques canadiens originaux et authentiques ne bénéficient pas concrètement de cette révision. La réflexion du gouvernement au sujet de la propriété intellectuelle canadienne semble limitée et atteste de son manque de compréhension, voire de son insouciance, face aux problématiques engendrées par l’explosion des contenus en ligne et, conséquemment, de la fragmentation de l’expérience médiatique.
Les producteurs et le milieu de la communication ne doivent pas agir comme de simples fournisseurs de contenus indifférenciés et mondialisés. Ils ne peuvent pas être contraints de devenir de commodes travailleurs auxiliaires de l’industrie américaine. Il faut plutôt qu’ils participent activement à la création d’un réel espace audiovisuel canadien souverain et significatif. C’est là une condition essentielle pour la survie d’une culture commune et c’est à ce prix que notre démocratie maintiendra le sens critique nécessaire à sa vitalité.
On le sait, la réalité médiatique est dorénavant fragmentée et contrainte par des algorithmes. Dans ce nouveau paradigme de diffusion et de consommation comment peut-on prétendre à un espace national et culturel commun ? Il est donc fondamental de faire face à l’homogénéisation linguistique et culturelle qui nous menace. En ce sens, l’UPPCQ n’a d’autre choix que de revenir au fait français, car en se soumettant ainsi, le gouvernement canadien ignore radicalement le public québécois de langue française. De la sorte, il collabore essentiellement à l’effritement de l’espace culturel commun aux Québécois et de la pérennité du français en Amérique. Soulignons donc ici l’importance décisive d’y remédier grâce à la révision de cette loi. Il s’agit d’une occasion historique qui ne se renouvellera pas à brève échéance et qui aura un impact durable sur notre société et notre « vivre ensemble ».
Par ailleurs, depuis plusieurs années, de grosses firmes privées étrangères utilisent des données de comportements appelées « big data » pour une connaissance plus fine de l’auditoire canadien pour cibler et modeler nos habitudes d’écoute. Ceci a des conséquences sur les habitudes culturelles populaires, car il s’agit d’un modèle étranger basé uniquement sur des intérêts économiques industriels et dont on connaît les potentiels impacts négatifs sur une société démocratique. La mise sur pied d’un système de collecte de données publiques obligatoire pour tous les diffuseurs de contenu au Canada, permettrait de colliger et d’analyser les données nécessaires pour comprendre l’évolution des habitudes d’écoute des citoyens à la grandeur du Canada et ainsi développer un univers audiovisuel indépendant. Il en va du maintien du dynamisme et de l’originalité du savoir-faire technique et du potentiel créatif des productions québécoises et canadiennes et conséquemment de la survie de notre espace culturel commun.
L’UPPCQ considère qu’en laissant se centraliser au fil des décennies la production et les réseaux de communication, le CRTC a délaissé la tâche déléguée par le ministère, de maintenir et de développer la trame médiatique canadienne de manière telle qu’elle puisse réellement rendre compte des réalités dans la fédération, remplir ses objectifs démocratiques et servir de courroie de transmission de contenus phares au sein des communautés et territoires. Cela a provoqué une désagrégation du milieu des communications et un déficit de représentation qui nourrit actuellement des tensions entre les métropoles de langue anglaise et française et le reste du pays. Une situation qui doit changer dès aujourd’hui et que la loi doit cibler.
La position de l’UPPCQ est qu’il primordial que les objectifs de la Loi C-10 soient orientés vers une production décentralisée et ancrée dans la réalité socioculturelle hétérogène qui compose la trame de la fédération, ce qu’on ne peut accomplir qu’en ouvrant la voie à une diversification des producteurs et des créateurs et à la visibilité de leurs productions. À l’ère numérique, il est d’autant plus important d’y porter une attention particulière.
En terminant, étant donné que le ministre Guilbeault et son ministère sont responsables des communications au sein du pays, l’UPPCQ leur recommande que la Loi C-10 participe :
– À la création d’un espace audiovisuel souverain et correspondant à la diversité canadienne ;
– Au maintien et à la valorisation de la vitalité de la langue française au sein de celui-ci ;
– À la mise en place de structures médiatiques privées de diffusion autonome au Canada ;
– À la viabilité des entreprises médiatiques régionales privées ;
– À développer une expertise indépendante et publique dans l’analyse de données canadiennes en dehors de tout lobby industriel étranger ou canadien ;
– À la protection de la diffusion de contenus canadiens originaux et diversifiés non seulement divertissants, mais qui renseignent sur des enjeux de sociétés contemporains et pluriels.