Projet Pegasus. Un an après, la crise des logiciels espions se poursuit parce que des mesures énergiques n’ont pas été prises contre le secteur de la surveillance

Un an après les révélations concernant le Projet Pegasus, l’absence de moratoire mondial sur la vente de logiciels espions permet au secteur de la surveillance de poursuivre ses activités de façon incontrôlée, a déclaré Amnistie internationale le 18 juillet.

Le Projet Pegasus a révélé que des gouvernements du monde entier utilisaient le logiciel espion invasif de NSO Group pour placer sous surveillance de façon illégale, à travers le monde, des militant•e•s des droits humains, des dirigeant•e•s politique, des journalistes et des avocat•e•s.

Le Canada ne fait pas exception à la règle. Depuis 5 ans, la Gendarmerie royale utilise des logiciels espions dans le cadre de ses enquêtes, espionnant ainsi courriels et caméras.

À la suite des nombreux appels qui ont été lancés pour que le secteur de la surveillance soit réglementé, quelques initiatives ont été prises allant dans la bonne direction, mais les gouvernements n’ont pas pris de mesures suffisantes.

« Une année après les révélations concernant le Projet Pegasus qui ont ébranlé le monde, il est très inquiétant de constater que les entreprises de surveillance continuent de tirer profit des violations des droits humains à l’échelle mondiale, a déclaré Danna Ingleton, directrice adjointe d’Amnistie Tech.

« Le Projet Pegasus a permis de tirer la sonnette d’alarme et de rappeler qu’il était urgent d’agir pour réglementer un secteur hors de contrôle. Malheureusement, les gouvernements à travers le monde n’ont toujours pas intensifié leur action pour remédier entièrement à la crise de la surveillance numérique.

« Toute personne visée par le logiciel espion de NSO Group est en droit d’obtenir réparation. Le fait que les gouvernements à travers le monde n’ont pas pris de véritables mesures est un affront fait à toutes les personnes qui ont souffert, physiquement et psychologiquement, parce qu’elles ont été prises pour cible avec ce logiciel invasif.

« La surveillance illégale exercée contre les défenseur•e•s des droits humains et la société civile est un instrument de répression. Il est grand temps de mettre un frein à ce secteur qui continue de mener dans l’ombre ses activités. »

Le Projet Pegasus est un projet collaboratif mené par des journalistes travaillant pour 17 médias dans 10 pays, et coordonné par Forbidden Stories. Grâce à des examens techniques et des méthodes de recherche de pointe, le Security Lab d’Amnistie internationale a confirmé les éléments de preuve indiquant que des dizaines de téléphones de par le monde avaient été ciblés et infectés.

Au cours de l’année écoulée, le Security Lab a découvert de nouveaux cas de personnes ciblées au moyen de Pegasus au Maroc et Sahara occidental et en Pologne. De plus, le Security Lab a confirmé de façon indépendante de nombreux cas supplémentaires où Pegasus continuait d’être utilisé pour cibler de façon illégale des personnes, notamment au Salvador, en Israël et territoires palestiniens occupés, en Pologne et en Espagne.

La surveillance illégale viole le droit au respect de la vie privée et peut également violer les droits à la liberté d’expression, d’opinion, d’association et de réunion pacifique.

« Une forme très violente de censure »
Amnistie internationale enquête sur la surveillance illégale depuis de nombreuses années. Des éléments toujours plus nombreux viennent prouver que les gouvernements commettent des violations des droits humains, et montrent que des entreprises tirent profit de cette surveillance illégale ciblée.

Tous les mois, de nouveaux cas de personnes ciblées au moyen de Pegasus sont confirmés. Amnistie internationale a interviewé plusieurs personnes qui avaient été infectées par Pegasus et qui ont dit avoir beaucoup souffert de ce ciblage.

Julia Gavarrete, journaliste au Salvador, a déclaré : « C’est honteux : ce puissant outil qui devrait être utilisé pour combattre la criminalité est utilisé pour attaquer des journalistes indépendants et des défenseur•e•s des droits humains. C’est dommage que nous ne sachions rien de l’identité de la personne qui se trouve derrière ce ciblage. C’est impossible de ne pas ressentir de la colère quand on voit sa vie tomber entre les mains de tiers, et on ne sait rien en ce qui concerne les responsabilités à ce sujet. 

« Être prise pour cible m’a amenée à changer ma façon de communiquer, à éviter les endroits où j’allais avant, et à réfléchir à deux fois au type d’informations que je veux partager, non seulement pour ma sécurité mais aussi pour protéger les personnes qui me contactent. Je dois faire attention aux lieux que nous visitons et je dois essayer de faire très attention à chaque fois que nos appareils sont à proximité […] En tant que journaliste, je dois garder le secret sur mes sources, et en tant que femme, je dois protéger ma famille et mes ami•e•s. La surveillance entraîne une perte de dignité en ce qui concerne la vie professionnelle et la vie privée. » 

Hicham Mansouri, un journaliste marocain qui vit en France, dit que le fait d’être ciblé est « une forme très violente de censure, parce qu’on s’empêche de s’exprimer sur de nombreux sujets sur le plan tant professionnel que personnel ». Il a ajouté : « Voilà leur objectif : vous rendre paranoïaque, vous couper des autres personnes et vous enfermer dans une prison. »

Les enquêtes en cours
Plusieurs enquêtes et procès contre NSO Group sont en cours en Inde, au Mexique, en Pologne et en France. En mars, le Parlement européen a mis en place la commission d’enquête PEGA pour enquêter sur l’utilisation de Pegasus et d’autres logiciels espions en Europe.

En novembre 2021, le gouvernement des États-Unis a inscrit NSO Group sur sa Liste des entités pour avoir « participé à des activités contraires à la sécurité nationale et aux intérêts de la politique étrangère ». Le même mois, Apple a intenté une action en justice contre NSO Group pour l’amener à rendre des comptes au sujet du ciblage et de la surveillance d’utilisateurs/trices d’Apple.

Ces dernières semaines, des informations ont indiqué que l’entreprise sous-traitante pour le ministère de la Défense des États-Unis L3Harris était en pourparlers pour devenir propriétaire du logiciel Pegasus. L’avenir de NSO Group demeure incertain.

« Il faut faire obstacle à toute tentative de NSO Group visant à modifier son modèle économique en vue d’échapper à l’obligation de rendre des comptes. La totalité du secteur de la surveillance est déficiente et doit de toute urgence être réformée, a déclaré Danna Ingleton.

« Nous continuons de demander un moratoire mondial sur la vente, le transfert et l’utilisation des logiciels espions, qui devra être maintenu jusqu’à ce que des garanties réglementaires relatives aux droits humains soient mises en place concernant leur utilisation. »

Les États sont tenus, au titre du droit international relatif aux droits humains, de respecter les droits humains et aussi de les protéger contre des atteintes commises par des tiers, y compris par des entreprises privées.

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