Après avoir publié Comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur en 2018 et Comment réussir sa migration clandestine en 2021, l’auteur et illustrateur algérien Salim Zerrouki a publié en 2024 Rwama[1], une bande dessinée où il raconte son histoire ainsi que celle de l’Algérie à travers le récit de l’immeuble de son enfance.
Salim Zerrouki s’adresse à un large public lorsqu’il raconte l’histoire de l’Algérie. Dans cette œuvre universelle, il témoigne de l’évolution des meurs et des mentalités -d’une autre époque- qui restent méconnues auprès de la nouvelle génération.
Avec l’aide de son entourage, Salim Zerrouki pioche dans ses souvenirs pour partager des moments qui l’ont marqué et il raconte à sa manière ce qu’il a vécu dans son quartier et dans ce bâtiment qu’il aimait tant. Il pose ainsi un regard d’enfant sur des souvenirs emplis de nostalgie dans le premier tome de Rwama.
Il apporte d’ailleurs quelques explications sur l’origine du surnom de son immeuble. « Rwama » veut dire littéralement « les Français ». La raison à cela est que dans cette « chakchouka[2] » : « des Algériens, des Russes, des Allemands de l’Est et des Cubains vivant dans un immeuble algérien, furent surnommés les Français » (p. 22). Dans ses souvenirs, les « Rwama » vivaient en parfaite harmonie dans un cadre idyllique entouré de jardins.
Dès les premières pages, Salim Zerrouki décrit ce qui était selon lui exceptionnel dans cette merveille architecturale en forme d’arc de cercle : « Perché sur 16 piliers et entouré de jardins, de pins, de sapins de mimosas…sa structure arquée, orientée sud, lui permettait d’accueillir le soleil dans tous les appartements » (pages 4 et 5). Construit en 1975, l’immeuble se situait à quelques encablures de la Cité olympique et le stade du 5 Juillet à Alger.
On l’a compris, l’histoire de cet immeuble moderne qui est tombé petit à petit en décrépitude est un prétexte pour raconter l’histoire de l’Algérie qui a sombré dans la décennie noire des années quatre-vingt-dix. Pour ce faire, l’auteur fait un travail de documentation et de mémoire où se juxtaposent ses souvenirs personnels avec la grande histoire de l’Algérie.
Fort de dix années d’expérience dans le domaine de la publicité, le bédéiste parvient à donner vie à son bâtiment qui dégage mille et une émotions. Au niveau graphique, Rwama surprend par une audace minimaliste qui permet de concentrer l’attention des lecteurs sur les détails essentiels.
À travers la caricature et l’humour, Salim Zerrouki illustre l’Algérie des années 70 jusqu’au début des années 90. Il parcourt les décennies et il décrit avec ses yeux d’enfant l’Algérie de Boumediene et celle de Chadli. Il raconte comment il a vécu la révolte populaire du 5 octobre 1988, ainsi que les changements qui se sont opérés dans la société avec l’émergence de l’islam politique dans la sphère publique.
L’auteur se permet d’ajouter des clins d’œil à ses compatriotes algériens et tout particulièrement ceux de sa génération lorsqu’il évoque les évènements du 5 octobre 1988 à travers des illustrations de documentaires animaliers.
Enfin, une fois n’est pas coutume, je me permets une pointe de chauvinisme pour encourager les algériens -où qu’ils soient- à se procurer le premier tome de Rwama qui est publié aux Éditions Dargaud. L’album est aussi disponible au Québec dans les librairies.
Quelques expressions tirées de Rwama :
- T’as de la chance, Wallah!
- La bagarre el dem issil, la bagarre
- C’est un cable téléphonique. Et il contient du scoubidou ! Du scoubidou ! C’est un trésor, les gars !
- La Yajouz* ce n’est pas permis
Réda Benkoula
[1] Rwama, tome 1 – Mon enfance en Algérie (1975-1992) | Salim Zerrouki (Scénario, dessin) | Dargaud | 2024 | 176 pages
[2] La chakchouka ou La shakshouka est un plat maghrébin assaisonnée de diverses épices. Le mot shakshouka vient du dialecte arabe maghrébin et signifie « mixte ».