Évoquer le thème de la sexualité dans une société musulmane n’est pas chose aisée. L’exercice auquel s’est donnée Leila Slimani dans Sexe et mensonges[1] témoigne de la complexité du sujet. L’auteure écrit : « À chaque fois que je parle de l’éventualité d’une « révolution sexuelle » au Maroc, mes interlocuteurs douchent mon enthousiasme. Pour beaucoup, le poids de la religion dans la société rend impossible un changement législatif à court terme. Je me suis alors demandé s’il était possible d’imaginer qu’on puisse être musulman et avoir une sexualité libre, épanouie, sans rendre de compte ni à l’Etat ni à la société (…) Les sociétés musulmanes sont construites autour de tabous qui sont la fornication, l’homosexualité, la maternité célibataire, l’avortement et la prostitution. Ce système continue de tenir grâce à une culture du silence, voire de l’omerta, prêchée par le religieux, confirmée par la loi et imposée par la convention sociale »[2].
En s’appuyant sur beaucoup de paroles confiées aussi bien par des hommes que par des femmes, l’écrivaine décortique tout ce qui est latent. En effet, elle démontre que l’épanouissement ne peut se faire sans libérer les esprits de l’aspect « religieux ». Elle rappelle les propos de la sociologue Fatima Mernissi tirés de son livre L’amour dans les pays musulmans (Albin Michel, 2009) : « Si Jésus n’a pas eu de vie sexuelle, celle du prophète Mohammed fut très riche. Et on la raconte avec force détails au croyant qui cherche un guide, un modèle. Les deux religions conseillent de se méfier du désir mais pas de la même manière. Le christianisme présente la sexualité comme une source d’échéance. (…) L’islam, plus raffiné, identifie le désir comme un ennemi qu’il faut repérer, connaître, pour mieux le maîtriser »[3].
Retour à l’histoire
Quand les interdits ne sont qu’un voile pour masquer la réalité telle que vécue, il devient pertinent de faire un tour dans la cours de l’histoire et de voir le fondement de toute pensée. En effet, Leila Slimani rappelle : « Du IX au XIII siècle, alors que la civilisation islamique connaît son apogée, la littérature et l’art érotique vont fleurir. « Tous les adolescents ont lu Le jardin parfumé de Cheikh Nefzaoui, qui a été écrit au XIV parce qu’un prince voulait savoir comment faire l’amour et avoir le maximum de plaisir. Or, le texte commence par bismillah, c’est-à-dire « au nom de Dieu, le miséricordieux », me rappelle l’écrivain Tahar Ben Jelloun »[4]. La vision étriquée sous laquelle croupit le monde musulman le réduit à un débat souvent limité, situé entre le rôle de la femme et son devoir de sauver l’honneur en protégeant sa virginité. À la lumière de cette idée, l’auteure de Sexe et mensonges souligne : « une étude (Islam and the West), menée par les Américains Roland Inglehart et Pippa Norris entre 1995 et 2001, montrait que les plus grands écarts d’opinions entre le monde musulman et l’Occident ne concernaient pas les valeurs démocratiques ou les systèmes politiques mais le rôle des femmes et les questions ayant trait à la sexualité. Pour eux, « le fossé culturel qui sépare l’Islam et l’Occident a plus à voir avec Eros qu’avec Démos »[5] !
Lamia Bereksi Meddahi
_____
[1] Ed/ Les arênes, 2017.
[2] Id, p. 109.
[3] Ibid, p.110.
[4] Ibid, p. 111.
[5] Ibid, p. 125