En plus du discours provocateur du nouveau président étasunien, l’édition 2025 a été marquée par la sortie de quelque 260 millionnaires et milliardaires demandant d’être imposés davantage. Dans une lettre publiée en ligne, le collectif critique la « théorie du ruissellement » et dit vouloir « payer plus pour lutter contre les inégalités extrêmes », entre autres.
Comment ne pas être d’accord? Les taux d’imposition des entreprises dans les pays de l’OCDE, qui se sont stabilisés depuis 3 ans, n’ont fait que reculer entre 2000 et 2021. Idem pour l’imposition du revenu des particuliers, dont le poids dans l’assiette fiscale des États est en baisse depuis les années 1980. Quant à la part de l’impôt sur le patrimoine, elle a stagné pendant la même période. C’est d’ailleurs parce que cette richesse est peu imposée qu’elle peut être transférée d’une génération à l’autre au bénéfice d’une minorité qui peut ensuite prétendre « s’être faite elle-même ».
On ne saurait cependant trop rappeler à ces riches justiciers que la meilleure manière d’empêcher les écarts de revenu et de richesse de croître est d’enrayer en amont les mécanismes qui permettent à une poignée d’individus d’amasser d’imposantes fortunes. Par exemple, pour mieux répartir la richesse comme le souhaite l’héritière Abigail Disney, la société Walt Disney pourrait choisir de réduire drastiquement la rémunération de son PDG, qui s’est établie à 41,1 millions de dollars en 2024, et de payer ses employé•e•s décemment.
L’imposition des revenus et du patrimoine est un moyen efficace de réduire les inégalités, mais qui doit aller de pair avec la mise en place d’une économie qui ne repose plus sur l’exploitation des travailleurs et des travailleuses.
Amazon ou les paradis fiscaux contre les travailleurs et les travailleuses
En 2003, l’État du Luxembourg entérinait auprès d’Amazon une stratégie d’évitement fiscal permettant à l’entreprise de garder à l’abri de l’impôt le trois quarts de ses profits déclarés au Luxembourg et issus de ses activités en sol européen. Le stratagème, connu sous le nom de « prix de transfert », permet à une filiale luxembourgeoise d’Amazon, propriétaire des brevets de l’entreprise, de charger à une autre filiale un tarif démesuré, le tout afin de gonfler les dépenses de la compagnie et ainsi diminuer son revenu imposable. En 2014 et suite à une enquête, la Commission européenne a estimé que cette stratégie avait permis à Amazon d’éviter de s’acquitter de 250 millions d’euros en impôt auprès du fisc luxembourgeois.
L’entreprise fondée par Jeff Bezos poursuit à ce jour ses stratagèmes fiscaux au Luxembourg, où elle a déclaré des profits de 946 millions $ CAD uniquement pour 2023. En Amérique du Nord, Amazon peut compter sur ses filiales du Delaware, qui ont concouru à ce que le géant du commerce en ligne ne paie pas un sou d’impôt fédéral aux États-Unis en 2017 et en 2018, en dépit de ses profits mirobolants. Les impôts non payés par Amazon sont autant d’avantages pécuniaires qui lui donnent une marge de manœuvre supplémentaire pour affronter les aspirations syndicales de ses travailleurs et travailleuses. En somme, l’impôt évité est autant de capital économisé permettant à la multinationale de mieux faire triompher un modèle d’affaires voyou.
Quand une multinationale ne paie pas d’impôt, ou à peine, il est aisé pour elle de fermer des entrepôts fraîchement construits et d’enregistrer des pertes cumulant des millions de dollars afin de tuer dans l’œuf un mouvement de syndicalisation.
Colin Pratte, chercheur à l’IRIS
La privatisation tranquille de l’électricité ou comment échouer sa transition énergétique en 4 étapes faciles (2/2)
La situation de l’électricité au Québec est différente de celle des marchés de l’électricité ailleurs dans le monde : non seulement elle est déjà décarbonée, mais elle est en plus contrôlée principalement par un monopole public et n’est pas vendue aux consommateurs finaux en fonction de mécanismes du marché. Le projet de loi 69, en ouvrant davantage la porte au privé dans le secteur électrique, représente une perte de pouvoir pour Hydro-Québec ainsi qu’un risque pour la transition énergétique. Le PL69 constitue la première étape vers l’imposition d’un marché dérégulé. Plusieurs de ses articles ouvrent encore davantage au dégroupage vertical d’Hydro-Québec, préparant ainsi à l’établissement d’un marché concurrentiel de l’électricité.
La poursuite de cette voie pourrait mener à d’importantes hausses de tarifs pour les particuliers. Mais cette privatisation tranquille de l’électricité aurait également des conséquences pour la transition énergétique. Soit celle-ci se fait au rythme compatible avec notre responsabilité climatique, mais ce serait alors grâce à de vastes subventions publiques garantissant de hauts taux de profitabilité pour le privé. Soit la transition ne respectera pas le rythme qu’exige la crise climatique, car les énergies renouvelables ne seront pas suffisamment rentables aux yeux des investisseurs. En revanche, la propriété publique des infrastructures d’électricité renouvelable constitue le moyen le plus sûr, le plus rapide et le plus efficace pour réaliser la transition énergétique.
Malgré ses défauts, Hydro-Québec constitue une pièce centrale de notre avenir écologique. La privatiser en tout ou en partie serait la voie la plus sûre de dilapider des fonds publics ou d’échouer tout simplement la nécessaire sortie des carburants fossiles.
Arnaud Theurillat-Cloutier, collaborateur à l’IRIS
TRAVAIL | L’entreprise américaine Amazon a annoncé cette semaine qu’elle fermerait prochainement les sept établissements qu’elles opèrent au Québec, quelques mois à peine après que les travailleurs et les travailleuses de l’entrepôt de la compagnie à Laval aient réussi à se syndiquer. Si ses pratiques antisyndicales ont fait sa marque, l’entreprise fondée par le milliardaire Jeff Bezos est aussi connue en raison de son utilisation de dispositifs technologiques à des fins de surveillance de ses employé•e•s ainsi que de son recours aux paradis fiscaux pour alléger ses obligations fiscales.