Ce constat tardif fait écho aux critiques que formulaient les mouvements sociaux progressistes à l’égard du libre-échange et de la mondialisation de l’économie il y a déjà… plus de deux décennies. Cependant, contrairement à la vision de solidarité sociale et économique que ces derniers mettaient alors de l’avant, plusieurs utilisent la crise en cours pour proposer des solutions qui vont nuire à la population plutôt que de la protéger des contrecoups de l’instabilité économique.
L’aspirant chef du Parti libéral du Canada Mark Carney promet d’augmenter les dépenses militaires et d’abandonner la révision de l’imposition des gains en capital, qui visait les contribuables les plus riches. François Legault veut s’attaquer au « manque de “productivité, [à] la surréglementation, [à] la bureaucratie et [à] la taxation” » qui affaiblissent selon lui l’économie québécoise. Le premier ministre mise en outre sur le développement de nouveaux projets d’infrastructures énergétiques pour créer des emplois et s’en remet aux dirigeants de grandes entreprises et de sociétés d’État pour réfléchir à l’avenir économique de la province. Le ministre de l’Environnement Benoit Charette s’est pour sa part montré ouvert à relancer le controversé projet de GNL Québec. Quant au milieu des affaires, il ressort l’idée d’assouplir une panoplie de règles pour faciliter le commerce interprovincial sans que les bienfaits d’une telle approche ne soient expliqués.
Il est évident, comme l’affirme Patrick Lagacé, que l’on est face à « une guerre commerciale dont on n’avait pas besoin ». Néanmoins, comme l’a suggéré Hadrian Mertins-Kirkwood, cette crise offre l’occasion de diversifier l’économie canadienne (et non simplement de diversifier ses partenaires), mais aussi de réduire à la source sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures (et non simplement de produire davantage d’énergie pour le marché intérieur). Le contexte est également favorable à l’amélioration des programmes d’assurance-emploi et de protection du revenu (plutôt qu’à l’instauration de travaux forcés pour ceux et celles qui seront mis au chômage). Ces avenues ont le potentiel de rendre l’économie plus résiliente et d’en faire profiter le plus grand nombre.
La redistribution au sein du régime québécois d’assurance parentale
Le Québec s’enorgueillit de ses programmes sociaux qui visent à protéger la population de différents chocs de revenu et à redistribuer la richesse. En revanche, lorsqu’on étudie en profondeur ces programmes, on constate que certains de leurs paramètres ne cadrent pas parfaitement avec cette mission sociale. C’est le cas du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), dont certaines dispositions ont pour effet d’aider davantage des ménages déjà favorisés. Le RQAP permet aux travailleurs et aux travailleuses québécois•es d’obtenir des prestations lors de la naissance ou l’adoption d’un enfant. Supposons qu’un individu gagne 50 000$/année de l’âge de 21 à 65 ans sauf lors de ses deux congés de maternité. Au total, cette personne aura contribué 25 499$ au RQAP durant sa carrière. Si elle prend deux congés de 45 semaines (30 semaines à 70% et 15 semaines à 55%), elle obtiendra une prestation de 28 125$/année, pour un total de 56 250$ durant sa carrière.
Toutefois, une proportion importante des prestations que touche un parent qui bénéficie du RQAP ne provient pas des contributions du prestataire durant sa vie active, mais vient plutôt des autres contribuables qui ne recevront jamais de prestation. Pour visualiser la contribution de la société en fonction du salaire d’un individu, comparons la différence entre les contributions et prestations à vie pour deux individus ayant un salaire annuel de 40 000$ et de 70 000$ qui prendraient chacun deux congés parentaux. Dans le premier cas, la société contribue un montant de 24 601$, alors que cette contribution s’élève à 43 051$ pour l’individu dont le salaire est de 70 000$. Si on pousse cette comparaison jusqu’à inclure les individus qui ne se qualifient pas pour le RQAP parce que leur salaire est trop faible, ces derniers ne reçoivent rien de la société. En somme, le Québec donne plus d’argent aux individus ayant des revenus plus élevés qu’à ceux ayant des revenus plus faibles dans le cadre du RQAP.
En sachant que le RQAP s’attend à générer un surplus d’au moins 239 millions de dollars en 2028, le gouvernement a les moyens d’augmenter les prestations des individus à faibles revenus pour augmenter l’équité du régime.
Vincent Chandler, professeur au département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais
Faits saillants
• En 2024, il fallait entre 45 200 $ et 56 348 $ à une personne seule pour sortir de la pauvreté dans cinq municipalités de la Baie-James. La ville de Radisson possède, à ce jour, le revenu viable le plus élevé jamais calculé dans tout le Québec ;
• Dans toutes les municipalités étudiées, le revenu des femmes n’atteint pas le revenu nécessaire pour vivre hors de la pauvreté tandis que celui des hommes le dépasse facilement ;
• Bien que la proportion de personnes en situation de pauvreté soit plus faible dans les municipalités de la Baie-James que dans le reste du Québec, une personne seule doit tout de même compter sur un salaire horaire d’au moins 30 $ pour être en mesure d’atteindre le revenu viable.
MÉDICAMENTS
Face aux nombreux appels au boycottage des produits américains, le Journal de Montréal avançait cette semaine qu’« il est possible d’encourager des entreprises d’ici en optant pour des médicaments génériques ». Mais guerre commerciale ou pas, si le Canada se dotait d’un régime d’assurance-médicaments entièrement public, il ne disposerait pas uniquement d’un programme qui permet de rembourser les dépenses des ménages pour des médicaments d’ordonnance. Il aurait aussi à sa disposition, comme nous le soulignons dans une étude parue en 2010, un « moyen de contrôler les coûts par une évaluation pharmacoéconomique efficiente des nouveaux médicaments et l’établissement d’un pouvoir de négociation face aux puissantes sociétés pharmaceutiques transnationales. » Bref, il s’agirait d’un moyen efficace de protéger le portefeuille des ménages canadiens.