Il est des êtres qui ne viennent pas au monde pour le traverser, mais pour l’effleurer, le recueillir, l’honorer. Véronique Perrault est de ceux-là.
Comédienne et réalisatrice belge au regard étincelant de mer calme, elle ne filme pas pour montrer, elle filme pour entendre. Elle ne tend pas le micro pour interroger, mais pour écouter — écouter jusque dans les tremblements, jusque dans l’espace entre deux silences, là où naît l’essentiel.
Dans son sillage, les voix se déplient, timides, puis s’élèvent, comme des oiseaux apprivoisés par la patience. Ceux qu’elle approche retrouvent, sous son regard, l’envie de dire, le droit d’être fragiles, la joie d’être entendus. Elle invente un espace où la parole est caresse, où l’échange est refuge. Rien d’arraché, rien d’arrogant : tout est donné, tout est reçu.
Ses images, ses entretiens, ses documentaires ne sont pas des archives. Ce sont des offrandes.
Ils portent l’odeur des matins humides, la lumière des fins de jour, la vibration d’une main tendue sans rien attendre. Là où d’autres collectionnent des moments, elle tisse des continuités, elle relie les âmes à leur propre murmure.
Derrière la caméra, elle devient presque transparente. On ne la voit pas, mais on la sent — présence discrète, écoute immense, cœur posé au bord du cadre. Elle capte l’infime, le tremblé, le presque rien qui devient tout : un regard qui s’embue, un souffle retenu, une hésitation au bord des lèvres.
Elle a cette grâce de l’enfance retrouvée, de l’émerveillement intact. Pas l’émerveillement naïf, mais celui, rare, qui naît d’avoir traversé la vie sans renoncer à sa lumière. Chaque projet est pour elle une manière de dire : je vous vois. Et dans ce regard, ceux qu’elle rencontre se redressent, se révèlent, parfois à eux-mêmes.
Au fond, Véronique Perrault n’a qu’un seul sujet : la dignité. Non celle qu’on revendique à grand bruit, mais celle qu’on devine dans un geste retenu, dans un mot simple, dans un silence accordé. Elle nous rappelle que l’humain ne se mesure pas à l’éclat, mais à la profondeur.
Et déjà, en elle, murmure un rêve plus vaste — un film, non pas plus ambitieux, mais plus essentiel encore. Elle le porte comme on porte une étoile cachée sous la peau. Ce ne sera pas un film pour séduire, mais un film pour relier. Pas un spectacle, mais un passage. Il parlera de l’amour comme on ose à peine en parler : celui qui blesse, qui soigne, qui refait le monde à hauteur d’âme.
Un amour de gestes suspendus, de regards pleins, d’attentes fébriles. Un amour qui ne s’offre pas, mais qui se découvre, fragile et vaste, au fil du temps.
Dans un monde saturé de bruit, de vitesse, d’apparences, Véronique Perrault fait l’éloge du ralentir, de l’attention, de l’authentique. Elle est de ces rares artistes qui nous rappellent qu’aimer est un acte de création, et créer, un acte d’amour.
Il viendra un jour où son cinéma sera ce lieu que l’on cherche sans le savoir — un abri contre le vacarme, un jardin d’humanité.
Alors, nous nous y reconnaîtrons.
Non pas parce qu’elle aura tout montré, mais parce qu’elle aura su recueillir.
Kamel Bencheikh