ZIRA (Crédit photo Youcef Oufighou)

Ne pouvant jamais se dissocier des siens, ni se démarquer ou nier ses origines, elle demeure fidèle à elle-même. Elle a porté et assumé avec fierté son identité tout au long de sa vie. A travers les ondes de la radio, Zira, est perçue par beaucoup d’observateurs avertis comme porte flambeau de la culture et la langue kabyles. Elle est l’exemple vivant du militantisme au quotidien. Depuis toute petite, elle l’a exprimé par le chant jusqu’à devenir femme où sa voix a fini par résonner au-delà des cieux….

Pour aborder ces sujets, elle nous a accordé cette interview et a accepté de répondre à nos questions.

L’initiative : Présentez-vous à nos lecteurs. Pourriez-vous nous donner un aperçu sur ce qui a fait de vous ce que vous êtes devenue aujourd’hui ?

Zira : Zira, pour ceux qui me connaissent sous cette appellation à travers la radio, de mon vrai nom Ouarda Lahouazi. Je suis issue d’une famille kabyle d’Illoula Oumalou, à Tizi-Ouzou, plus exactement du village Takhlidjt. J’ai vécu mon enfance comme tous ceux de ma génération et des villageois kabyles de l’époque. J’ai fait tout mon parcours scolaire dans ma région natale jusqu’au collège. Comme j’ai eu avec succès mon examen du BEM, en étant classée parmi les premiers, on m’a affecté vers le lycée Sahoui Aldjia à Azazga. L’école primaire m’a particulièrement marquée. J’ai intégré les bancs à cinq ans, contrairement à mes autres camarades, car mon père était instituteur à l’époque. Je me souviens comme c’était hier, de mon premier jour en tant qu’élève. J’étais toute heureuse au point de me sentir renaitre pour une deuxième fois, c’était une énorme sensation de joie. Notre enseignant Hammou Moussaoui, nous faisait aimer les études, il nous considérait comme ses propres enfants, il prenait bien soin de nous au point de nous envoyer des lettres lors des vacances pour prendre de nos nouvelles ! Il nous fait toujours lire certains livres d’illustres écrivains de notre pays, je me souviens particulièrement de « Le vent du sud» du grand écrivain Abdelhamid Benhedouga.

Mon parcours, dès l’enfance, était toujours lié à la chanson et à l’animation. Dès le collège, j’ai intégré la chorale où j’ai découvert beaucoup d’artistes de la chanson universelle et ceux engagés dans le combat identitaire. C’était particulièrement grâce à notre professeur d’anglais, Aouchiche Arezki, qui nous faisait apprendre, dès qu’on avait du temps libre, quelques chansons que nous préparions aux festivités de commémoration des évènements du Printemps berbère de 1980 ou bien pour participer aux concours de chants à travers le territoire national.

Une fois au lycée, c’était un peu différent pour moi, au même titre d’ailleurs que pour toutes les autres filles qui étaient aussi issues, comme moi, des villages lointains. En effet, le premier changement ressenti c’était l’éloignement pour la première fois de ma famille, j’étais interne. De là, je peux dire que mon engagement a été réellement enclenché au service de ma culture, c’était une période où je me suis vraiment impliquée dans les activités parascolaires avec une forte prise de conscience.

Après l’obtention de mon BAC, j’ai fait des études en journalisme à l’université de Bouzaréah pendant deux ans uniquement, pour rejoindre l’université de Tizi-Ouzou où j’ai préparé une licence en langue et culture Amazighes. Mon transfert était aussi une épreuve pour moi. Je me souviens lorsque j’ai présenté mon dossier à l’université de Tizi-Ouzou, on m’avait signifié que ce n’était pas possible faute de places. Ce n’est que suite à l’intervention de Ferhat Imazighen Imoula que j’ai pu être acceptée ! Quatre ans plus tard, j’ai préparé mon mémoire de licence sur la poésie de Zeddek Mouloud, l’un des piliers de la chanson kabyle contemporaine. Durant cette période, j’ai eu l’honneur de croiser Arezki Azzouz, par qui les portes de la radio algérienne m’ont été grandement ouvertes. Ainsi, en 2005, j’avais intégré le staff de la chaine II, radio d’expression kabyle, jusqu’en 2013, l’année de mon arrivée à la radio Tizi-Ouzou que j’ai dû quitter tout récemment, fin 2018 plus exactement.


Vous avez eu un long parcours à la radio algérienne, que pourriez-vous dire de cette expérience ?

Effectivement, près de quinze ans au sein de la radio algérienne. La radio était toujours pour moi un rêve que j’ai pu enfin réaliser. J’ai eu le plaisir d’animer et l’honneur d’être proche des auditeurs par mes différentes émissions artistiques, magazines culturels et sociaux…

J’ai intégré l’équipe de la radio chaine II en 2005, avec une émission de divertissement musical «Top unebdu» (C’est l’été !) avec Makhlouf Gouatsou et la réalisation de Mazigh Guerfi, avant de faire ensuite beaucoup d’autres émissions.

Au départ, avant de devenir animatrice principale, j’avais fait certains programmes en co-animation, notamment avec Arezki Azzouz de «Yuli wass» (Le jour se lève), Hamid Larfi au plateau de «D Azal negh mazal» (C’est midi !) et beaucoup d’autres collègues. Comme animatrice principale et animatrice spécialisée, à mon compte plusieurs émissions, entre autres : «Tala n yizlan» (Source de Proverbes) avec Bouelam Rabia, en co-animation et réalisation ; «Aḥeq Ayen Yuran» (Au nom de ce qui est écrit !) avec Hacene Helouane, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler énormément ; une autre sur l’art plastique «Thicradh» (Tatouages berbères !) qui traite de la peinture avec Arezki Larbi où on a reçu beaucoup d’artistes peintres. Enfin, j’ai pu faire ma propre émission «Imazighen ass-a» (Les Berbères aujourd’hui) titre inspiré du livre de Salem Chaker, pour parler de tout ce qui caractérise les peuples de l’Afrique du Nord (langue, culture, civilisation…) où j’avais le privilège de recevoir pas mal d’écrivains, d’hommes de culture, d’universitaires… Et toujours dans le souci de promouvoir notre culture, dans l’émission Tadwat (encre et plume), je faisais des interviews, reportages et des directs sur tout ce qui est nouveau dans la production du livre en Tamazight. Avec Nordine Ait Slimane, une émission sur la poésie Taxelwit n Imedyazen (Le cercle des poètes) où on avait reçu beaucoup de poètes kabyles aux niveaux très élevés malgré leur jeune âge.

Par contre, d’autres émissions n’ont pas vraiment duré longtemps. On peut citer celle avec Ali Sayad «Igdalen igran», où il faisait la lecture anthropologique des textes sur les femmes de Mohammed et une autre avec le Professeur Belkacem Ait Ouyahia sur Jugurtha.

À la radio Tizi-Ouzou, j’ai eu à présenter beaucoup d’émissions dont certaines en matinale et d’autres dans la soirée. Les plus connues sont Tanzayt n Tizi (la matinale de radio Tizi-Ouzou!) et Amuger n tẓuri d yidles, «Awal afessas» qui était une Expérience du livre audio en direct sur les ondes, Lehmurga n Tmeddit (Crépuscule rosé du soir), j’ai pu reconduire quelques émissions aussi comme «Imaziɣen ass-a», «Tala n yizlan» avec Boualam At Rabaḥ, ainsi qu’ Imedyazen (Poètes) avec Nordine Ait Slimane. Néanmoins, tout n’était pas si facile que cela puisse paraître. On est souvent confronté à des tas d’obstacles. Mais avec de la volonté et de la patience on est arrivé tout de même à arracher certains acquis !

Actuellement vous vous êtes installée en France et vous avez renoué avec les études. Comment vivez-vous cet éloignement, vous qui êtes connue comme trop attachée à vos origines ?

Cela fait un peu plus d’une année que je me suis installée en France. Je prépare un master II en Cinéma et audiovisuel à l’université de Paris dans l’optique de servir encore notre culture.

Sincèrement, je n’ai jamais pensé qu’il y arriverait un jour où je serai obligée de vivre loin de ma famille, de laisser mon village, mes amis ni tout abandonner d’un seul coup, notamment, les miens et mon travail que j’ai tant aimé et que j’ai pu avoir après beaucoup de sacrifices ! C’est vraiment dur pour moi de vivre loin de tout ça. Mais les circonstances de la vie ont décidé autrement.

Ce que j’ai vécu ces dernières années m’a tellement bouleversée. Je ne pouvais supporter ce qui m’est arrivé et j’ai fini par craquer et céder. J’ai pris enfin la décision de partir dans le but de me reconstruire ailleurs. J’ai dû quitter mon pays où j’ai grandi, étudié et travaillé, mais mon âme et mon cœur y sont toujours…

À travers vos émissions radiophoniques, on sentait de la joie de vivre. Zira est toujours assimilée à une voix montante qui sera celle qui portera haut la culture et la langue kabyles. Que diriez-vous à ce sujet ?

Ma culture et ma langue kabyles m’habitent au plus profond de moi ! Lorsque j’étais à la radio, j’ai toujours essayé d’apporter un plus et de faire avec toutes mes forces et moyens ce que j’estime être utile à mon identité. Même si ce n’était pas du tout facile, il y avait toujours ceux qui ont cru en moi et qui m’encourageaient à aller de l’avant tandis que d’autres tentaient de freiner mon élan. Mon parcours radiophonique était plein d’obstacles, tout ce que j’ai pu faire c’était grâce aux soutiens de certains collègues, de ma famille et de mes fans. Les éloges du public et de beaucoup de militants engagés m’ont permis de donner le meilleur de moi-même. Je me souviens d’un militant que j’estime énormément qui me disait à chaque fois : «Comment vas-tu ma fille ? Ils te laissent travailler ?!». Effectivement, c’était dur, mais j’ai toujours défié les agissements de ceux qui nous mettaient les bâtons dans les roues sans qu’il y ait aucune note officielle

Votre public vous manque-t-il ?

Mon public est ma source d’inspiration, de courage et de volonté. Je lui dois tout, il m’a toujours soutenu dans les moments les plus difficiles de ma vie. A chaque fois que je me disais que c’est fini pour moi, c’est en lui que je retrouve le soutien et la force pour rebondir ; il me permet de me régénérer et de renaitre de mes cendres. J’estime que dans la vie, chacun porte une lumière en lui qui rayonne en son être et qui peut éclairer le chemin d’autrui dans ses pires moments.

Jusqu’à ce jour, on se voit souvent avec beaucoup d’entre eux, même ici en France. Des gens de différents horizons, tous adorables, qui m’affichent encore leur sympathie et leur admiration. Je ne cesserai de les porter dans mon cœur comme ils m’ont toujours portée dans le leur. Notre affection mutuelle demeure intacte.

Tout récemment, vous faites partie du collectif Chants Païens de Kabylie. De quoi s’agit-il ?

«Chants Païens de Kabylie» est un collectif né sous la conduite de Ameziane Kezzar et de Hend Ibersiène. Un double album avec la participation de pas mal d’artistes. On peut citer : Djamila Amzal, Azal Belkadi, Ferhat Imazighen Imoula, Idir, Ali Ideflawen, Amsiwel, Issad Bouzekri, Belaid Branis, Lycia Nabet et beaucoup d’autres… Chacun a contribué selon ses capacités et moyens : certains avec leur voix et d’autres avec de la musique. La mienne est à travers un chant lyrique qui porte sur Anzar, le dieu de la pluie et du sacrifice ! Beaucoup d’exemplaires sont vendus depuis sa sortie. Notre but à terme est de construire des théâtres antiques à travers toute la Kabylie avec les recettes générées. On espère atteindre notre objectif et que notre rêve, enfin, soit un jour une réalité…

Peut-on dire que finalement la chanson a fini par vous rattraper ? Un mot sur votre histoire avec le chant.

La chanson et Zira est une longue histoire ! Personnellement, je ne l’ai jamais quitté, depuis mon enfance j’ai toujours chanté. Mes débuts c’était avec les scouts de ma région natale. Malgré mon très jeune âge, j’ai beaucoup appris de cette expérience. Ensuite, j’ai intégré la chorale au collège sous la direction de Arezki Aouchiche, c’était l’occasion de découvrir les artistes qui ont marqué toute une génération, à l’instar du groupe Ideflawen et tant d’autres ! Au lycée, je faisais aussi partie d’une troupe de chant encadrée par Boualem Rabia et Mohand Ouali Kezzar. On avait appris beaucoup de chansons célèbres à l’époque, comme celle de la diva Nouara, avec lesquelles on avait participé aux concours inter-lycées.

Mais avec mon métier à la radio, j’ai laissé de côté la chanson même si de temps à autre je renouais avec ma passion notamment entre amis et en famille.

Ici en France, c’est grâce au collectif « Chants Païens de Kabylie» que j’ai retrouvé la scène, aussi, quelques passages avec Azal Belkadi et maintenant avec la grande Malika Domrane en tant que choriste à l’occasion de ses quarante ans de chanson ; le 6 du mois en cours au « Cabaret Sauvage», à Paris.

Un jour, j’arriverai peut-être à produire mon propre album et à chanter seule, c’est mon souhait ! Mais ce n’est pas évident pour moi. Je dois améliorer davantage ma voix, la travailler et l’aiguiser ; apprendre à jouer certains instruments de musique : piano, flûte, violon, bendir… À ce moment-là, je pourrais me considérer comme artiste et pouvoir me lancer dans la chanson !

Que pourriez-vous dire sur votre culture ? Comment peut-on, ou bien doit-on, promouvoir la culture et la langue kabyles ?

Notre culture est très riche, mais il nous reste beaucoup à faire pour atteindre le niveau des autres cultures du monde. Ces derniers temps, avec les travaux sur internet, notamment avec les réseaux sociaux et dans le moteur de recherche Google, notre langue s’est introduite et s’inscrit dans l’universalité ! On peut citer, à titre d’exemple, ce que font Mohand Belkacem et Slimane Amiri, et beaucoup d’autres qui œuvrent pour son développement. Il y a certainement d’autres belles initiatives qui feront ses beaux jours, j’en suis convaincue. Si on veut la développer on peut. Tant qu’il y aura du courage et de la détermination, notre lendemain ne sera que meilleur.

Je dois aussi signaler qu’à travers mon expérience à la radio, j’ai découvert que notre culture est capable de tout, il faut juste s’y mettre réellement et s’y investir sérieusement ; cela dépend uniquement de la volonté de chacun de nous.

Qu’en est-il de vos projets ?

Pour le moment rien de concret, mais ça me tient vraiment à cœur de me lancer dans l’écriture. Actuellement, je me projette sur deux livres : un qui porte sur des proses et l’autre sur ma vie ; une autobiographie. J’ai envie d’écrire pour partager mon vécu, mon expérience et mes peines pour en être un exemple pour beaucoup de femmes du monde dans leurs luttes quotidiennes. Le combat est encore long, on se doit partager nos parcours pour éclairer les autres ; c’est mon but et mon message que je veux passer que ce soit à travers l’écriture ou bien le cinéma.

Votre dernier mot à votre cher public

A mon public et à tous les auditeurs qui m’ont toujours exprimé leur respect et qui m’encouragent encore, je dis que même si je vous ai laissé, sachez que vous n’avez pas quitté une seconde la place que vous occupez dans mon cœur ! Vous me manquez énormément…

Propos recueillis par Hamza Sahoui

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