Avec l’annonce de la fin de la PCRE (Prestation canadienne de la relance économique) hier, la vétusté du régime canadien d’assurance-emploi mise de l’avant par la pandémie de COVID-19 devient intenable. En mettant en place la Prestation canadienne d’urgence (PCU), le premier ministre Justin Trudeau s’était lui-même engagé à mettre en place « un régime digne du XXIe siècle ». Dans la note socioéconomique Proposition de réforme de l’assurance-emploi au Canada rendue publique aujourd’hui, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a calculé le coût d’une réforme qui rendrait le régime plus efficace.
Un régime qui s’effrite
Depuis le début des années 1990, le régime a connu une série de réformes à travers lesquelles l’État s’est déresponsabilisé face aux chômeurs et aux chômeuses, avec pour résultat une détérioration de l’accès aux prestations. En effet, à la fin des années 1990, pour un groupe de 10 chômeur•se•s, on comptait neuf prestataires de l’assurance-emploi contre seulement quatre aujourd’hui. « Le Canada est un cancre en matière d’assurance-emploi. Depuis 30 ans, à force de resserrer les critères d’accès, le programme a trouvé le moyen d’exclure un grand nombre de travailleurs et travailleuses des protections qu’on s’attend à recevoir lorsqu’on cotise à une assurance. On couvre de moins en moins de personnes et de moins en moins bien », constate Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut et co-auteur de l’étude.
Une réforme à coût nul pour le programme
À la lumière des constats d’échec de l’assurance-emploi, une amélioration du régime devient maintenant essentielle. L’IRIS a calculé le coût d’une réforme qui permettrait d’accroître l’accès aux prestations pour les travailleuses et travailleurs les plus précaires, de limiter les exclusions et d’améliorer le maintien du revenu. Elle ajouterait environ 4 G$ aux dépenses fédérales par la restauration de la contribution de l’État au régime et, grâce aux retombées fiscales, elle aurait un impact positif sur les finances des provinces. En ajustant les différents paramètres du régime, la réforme se ferait à coût nul pour le programme. « Avec la fin de la PCRE annoncée hier, il devient plus urgent que jamais de rendre le régime d’assurance-emploi plus accessible, plus généreux et plus universel, résume Pierre Tircher, co-auteur de l’étude. L’objectif à la base du programme d’assurance-emploi, c’est de protéger les travailleurs et les travailleuses contre le risque que constitue le chômage. »
La réforme proposée par l’Institut se résume en quatre points :
1. Réduire le seuil d’accessibilité aux prestations à 350 heures ou 13 semaines travaillées.
2. Établir un plancher de 35 semaines en ce qui a trait à la durée des prestations.
3. Hausser le taux de prestation à 70 % du précédent revenu d’emploi.
4. Éliminer certaines exclusions : le fait de démissionner d’un emploi, notamment, devrait être un motif valable pour justifier l’accès d’un chômeur ou une chômeuse aux prestations.
Le régime actuel favorise les employeurs
Créé dans les années 1940 pour protéger le revenu des travailleurs et des travailleuses, le programme d’assurance-emploi s’est écarté de ses principes fondateurs. Les réformes successives ont progressivement accru la pression sur les travailleurs et travailleuses, faisant passer le régime du « welfare » au « workfare » et aggravant ainsi les inégalités socioéconomiques au Canada. « Plutôt que de protéger les travailleurs et les travailleuses en reconnaissant qu’il existe des facteurs macroéconomiques qui expliquent le niveau du chômage, on leur fait davantage porter individuellement la responsabilité de leur situation sur le marché du travail, analyse le chercheur. Les réformes ont privilégié l’intérêt des employeurs avant celui des salarié•e•s puisqu’elles ont placé ces derniers dans une position plus captive où ils peuvent plus difficilement choisir un emploi qui leur convient. »
Méthodologie
Pour réaliser ses calculs, l’Institut s’est appuyé sur les modalités du programme d’assurance-chômage dans les années 1970 — donc avant les grandes réformes — et a évalué les propositions du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE). Pour simuler les coûts engendrés par des paramètres qui rétabliraient l’accessibilité de l’assurance-emploi, l’IRIS a notamment fait appel à la Base de données et modèles de simulation de politiques sociales (BD/MSPS) élaborée par Statistique Canada. Cet outil permet de simuler l’impact de modifications apportées aux programmes gouvernementaux sur les dépenses et les revenus de divers acteurs économiques, dont le gouvernement fédéral et les provinces.