Cet ouvrage collectif[1] présente, sous forme d’articles, un panorama quasi-complet de la culture pop en Égypte : il analyse les manifestations culturelles rarement abordées par les chercheurs dont les écrits portent souvent sur l’analyse des textes littéraires, les champs audio-visuels, etc. D’où l’importance de ce volume qui dresse un bilan de la production littéraire égyptienne dans toutes ses formes commercialisées : publicité, roman, mème, feuilletons. Les auteurs des articles analysent les multiples facettes de la culture pop égyptienne dans son contexte historico-littéraire pendant la période prérévolutionnaire, révolutionnaire et postrévolutionnaire et enfin dans la période actuelle du règne du président Sissi.

Le volume met en lumière la période des émeutes populaires que l’Égypte a connu en 2011, il montre la fécondité de la culture pop égyptienne malgré les bouleversements qui ont secoué la société dans tous ses niveaux politique, social et économique. Il met l’accent également sur l’impact de la révolution sur les champs culturels puisqu’elle est devenue un lieu d’expression pour les artistes et les intellectuels égyptiens. Il y a eu également un dérèglement des différents champs culturels surtout en ce qui concerne la place de la littérature populaire et sa nouvelle mise en valeur. La production culturelle s’est immédiatement influencée par la révolution et en même temps, les artistes ont continué à produire malgré les contraintes politiques. Dans ce sens, ce livre avance que la culture pop en Égypte est une culture de subversion qui s’adapte à toute manifestation sociale ou politique.

Ce volume contient dix contributions qui portent sur l’étude de la culture dominante distribuée commercialement et étudient « des textes, des images et des sons des productions culturelles égyptiennes situées entre pop culture, popular culture, subculture et mainstream », tel qu’on lit dans l’introduction de Frédéric Lagrange.

La première partie du volume est consacrée à La Pop fiction, de l’écrit à l’audiovisuel.

Dans le premier chapitre, Richard Jacquemond étudie le cas du jeune auteur Ahmad Murād, il dresse un relevé des auteurs arabes les plus lus sur goodreads et les réseaux sociaux et qui influencent la production littéraire en Égypte. R.J. estime que les auteurs égyptiens utilisent de nouveaux moyens pour augmenter leur popularité auprès du public comme par exemple les réseaux sociaux (Facebook, Twitter), les signatures, les interviews. Etc.

Dans le deuxième chapitre, Teresa PEPE met l’accent sur l’adaptation du roman au feuilleton télévisé, elle cite l’exemple du roman de Sonallah Ibrahim dont le feuilleton télévisé (Dhāt) a été diffusé pendant le mois de Ramadan en juillet 2013 dans des moments particuliers. Dans le troisième chapitre, l’auteur Gaëtan du Roy examine les ambiguïtés du discours tenu sur les relations interconfessionnelles en Égypte à travers la symbolique du quartier populaire Shabra où des égyptiens musulmans et chrétiens vivent en bonne entente.

La deuxième partie du volume, Pop Humour, le rire entre la télévision et Internet.

Dans le premier chapitre, l’auteur Amr Kamal examine un sketch adapté, en dialecte égyptien, de la franchise télévisée américaine Saturday Night Life sous la forme de l’émission satirique Saturday Night Life bi-l‛arabī. Il étudie, d’un point de vue linguistique, les différents jeux découlant du mélange entre le littéral et le dialectal. Dans le deuxième chapitre, Frédéric Lagrange met l’accent sur l’imaginaire dans la publicité qui passe à travers l’humour quotidien au moment révolutionnaire. Cette publicité a été diffusée entre 2007 et 2017, c’est-à-dire qu’elle a duré après la révolution de 2011. On note qu’elle reprenait les mêmes slogans Estargel eshrab Birĕll (Sois un homme, bois Birell), ce qui est remarquablement emblématique puisqu’elle met en valeur la virilité avant et après le moment révolutionnaire. Dans le troisième chapitre, l’auteur Chihab al-Khachab aborde le commentaire comique que les égyptiens adaptent sur l’actualité politique à partir des images, du théâtre, des feuilletons télévisés. Il fait une analyse sémantique et historique dans les médias et le support numérique tout en mettant l’accent sur les caractères nationaux vus par la caricature numérique égyptienne sur Facebook.

La troisième partie du volume, Pop Music, du protest song à l’électro, analyse le phénomène de la pop culture.

Dans le premier chapitre, l’autrice Séverine GABY-THIENPONT examine le mainstream de la musique des jeunes désignée par l’étiquelle bdīla (alternative) dont les textes appartiennent au genre rock, électro, etc. Ce genre dépasse les locaux des jeunes et se transforme en un phénomène national : électro- sha‛bī appelé mahragăn est toujours dénigré par les institutions culturelles officielles qui le considère comme de mauvais goût. Son analyse aborde la période révolutionnaire durant laquelle les jeunes musiciens ont tenté de faire entendre la voix du peuple sur les places de contestation. Dans le deuxième chapitre, l’autrice May TELEMISSANY fait le bilan des chansons politiques issues de la place Taḥrīr en 2011. Elles sont en mouvement avec ou en avance sur les mouvements sociaux. Dans le troisième chapitre, l’auteur Nicolas PUIG se penche sur la musique du mahragăn et montre comment elle est née de la marge de la culture pop. Le mahragăn fait partie de la culture de masse en Égypte, ce genre de musique est diffusée dans les noces. L’auteur dévoile le passage de cette forme de culture pop de son niveau local au niveau national à travers l’investissement des grands auteurs et vedettes dans le mahragăn. Ce passage donne une grande valeur au mahragăn qui était auparavant dénigré dans les milieux artistiques et culturels.

La quatrième partie du volume Pop street, la rue et ses mythes contient un seul article intitulé « Les promenades avec les criminelles. Sur les traces de Rayya et Sekinā dans la culture populaire égyptienne contemporaine ». L’autrice Elena CHITI évoque le mythe contemporain à travers l’histoire des sœurs Rayya et Sekinā qui sont devenues des icônes dans la mémoire égyptienne collective et dans les milieux artistiques notamment dans le théâtre égyptien.

À travers ces neuves contributions scientifiques, le lecteur se rend compte de la richesse de la culture pop en Égypte qui ne cesse de charmer et d’influencer la culture arabe dans toutes ses formes écrites, audiovisuelles, etc. Cette culture est tellement diffusée et commercialisée sur les réseaux sociaux et dans les médias qu’elle est devenue une référence incontournable pour tous les professionnels et les amateurs de la culture arabe.

Samar Chenouda

[1] Richard JACQUEMOND et Frédéric LAGRANGE (dir.), CULTURE POP EN EGYPTE Entre mainstream commercial et contestation, éd. Riveneuve, 2020, 458 p., ISBN 978-2360135875, 26€.

Read previous post:
Parentification de l’enfant : le rôle inversé et l’attitude controversée

Le sens de « parentification » est complexe et confus. Touchant de nombreuses familles, il consiste à amener un enfant...

Close