La quintessence du paradis tropical se coltina la désignation du Brésil au XVI siècle en la « France Équinoxiale », un terme suggéré par le désir colonial qui ne fit pas long feu devant la ténacité Portugaise.
Vingt-ans plus tôt :
Foin d’arguties historiques! Pour plonger au cœur du sujet, à savoir le séjour remémoratif auprès de la tribu des Yanomamis, sise au nord du rio Blanco près de la frontière Vénézuélienne. Au cours des études anthropologiques, notre professeur en fin de session nous proposa un séjour d’étude sur le terrain. (En plein milieu tribal des Yanomamis). Constat édifiant où l’ethnologie se familiarisa avec une tribu dite « primitive », (peuple perdu dans le temps). Processus du lignage, méthodologie, segmentation, Lévi-Strauss, père du « Tristes Tropiques », tout y passa sous la direction de notre professeur et de notre guide. Nous étions une dizaine, accroupis, à écouter attentivement, scrutant le silence de la jungle. Seul le cri rauque de l’oiseau noir Kobari rompit le silence de plus en plus pesant. Nous fîmes connaissance de ce peuple farouche où les querelles de jalousie opposent frère à frère. Les généalogies compliquées, passées en revue, tourbillonnaient dans nos têtes sans trop tenir la piste. Alors la forêt retentit brusquement des salutations caractéristiques des Yanomamis, amicales et exubérantes : « Aooo »! Ceci se passait en1996. Vingt ans après, la réminiscence resurgit, creuse sa force pour réveiller une curiosité conséquente à cette visite.
À la recherche du temps perdu
Quel écart civilisationnel en a-t-il façonné son sillon ? À quel degré ont-ils été épargnés par le progrès? Sont-ils demeurés à l’abri de toute agression de l’alcool et des microbes ?
Le nécessaire d’un viatique de brousse réunit, entassé, mêlé à l’impédimenta spécifique des longues distances (vaccins, pilules, filtres, etc.), fourrés dans mon sac à dos, et valse des avions en direction du Roraima brésilien. Une carte « Michelin » en dernière minute permettra à l’imagination de gamberger à sa guise. La musique intérieure voltige en son octave supérieure. L’impatience des grands horizons frétille. L’esprit est déjà en goguette pour dénicher l’extra. La poulie fait tourner les idées. La force intérieure est prête à dicter le sublimable. De Paris à Rio, le grand écart, brise la gangue d’un moi timoré par le banal et l’usure d’un temps espiègle.
Merveilleux Brésil
Aller lézarder le banal, le remplir d’un tantinet d’action, d’un mouvement où l’on peut transmettre l’émerveillement. Couper avec l’uniformité pour découvrir l’imprévu. Devenir un zappeur territorial, escaladant les chemins escarpés de la « Sierra », mâtiner l’ivresse pour l’alchimie d’un rêve fécond afin d’instiller une coulée pulsionnelle du voyage. La délectation est à son comble au regard du Pain de sucre, l’image du Christ géant du Corcovado, des belles plages de Copacabana et d’Ipanema, autant d’images fascinantes qui appartiennent à l’inconscient universel. Rio de Janeiro (de Janvier), cette ville qui grimpe à l’assaut des falaises et de la forêt est un véritable choc. Rio est une des rares villes au monde qui n’ait pas encore réussi « à mettre la nature à la porte » disait Paul Claudel. Bahia de Salvador, Recife, Belém, dernier bastion de l’écoulement de la borracha (la boule de caoutchouc) sont des villes historiques qui continuent à tenir en haleine les visiteurs. Rio est aussi un miroir déformant : le vrai Brésil qui s’étend sur des milliers de kilomètres de terre rouge et de poudreuse, présente de multiples visages. L’Amazone « ce poumon du monde» concentre un métissage de population qui présente la palette des couleurs des peaux la plus complète. Le voyageur admire, s’étonne, s’exaspère pour peu à vouloir comprendre l’âme de cet immense pays, dissimulé derrière les rires éclatants, les danses frénétiques, de la musique omniprésente et ce mal étrange et intraduisible que l’on appelle : saudade. (Un spleen baudelairien en adéquation à leur ressentiment).
Sur les rivages du Brésil, les peuples du monde se sont donné rendez-vous dans cet immense melting-pot : Indiens originaires de l’Asie, Européens à la conquête de nouveaux empires, les Africains enrôlés de force dans la colonisation de l’Amérique. De Belém, le bateau populaire vous fait remonter le fleuve Amazone sur toute sa longueur, en se sustentant à chaque petit port. Version féérique, d’une facette d’un peuple coloré. La vie sur le bateau qui va durer six nuits et cinq jours vous replonge déjà dans un microcosme social édifiant sur la nature des mœurs. Manaus qui doit sa fortune au caoutchouc que les Séringuéros arrachent aux arbres de la forêt en les faisant « saigner ». Après l’ère des barons, Manaus périclite, mais garde son fabuleux opéra importé pierre par pierre.
Sur le Rio Blanco qui va baigner Boa Vista, notre étape semi finale pour dériver sur les pirogues à travers marigots et pistes, marécages et lianes. Le campement des frères Orlando est le verrou où transitent les curieux des Yanomamis. Le SPI (Service de la Protection des Indiens) y veille et vous évalue pour vous accorder moyennant finance les laissez-passer.
Vingt-ans plus tard
Après trois jours de marche vous êtes vue d’une vaste clairière dominée par une grande place de terre rouge où trône la grande maison réunissant hommes, femmes, enfants somnolents sur leurs hamacs.
Premier choc : des adultes, IPhones en mains traînent une nuée d’enfants chahutant à qui mieux-mieux pour un tour de jeux. Des sachets de Chips et des cannettes de bières jonchent les coins. Des tôles de zinc côtoient les toits de branchages. Des boîtes vident de médicaments et autres colifichets traînent un peu partout. Il fut un temps où les herbes médicamenteux étaient la spécialité de la région. Pauvres Chamans réduits au chômage. Nous voilà à une autre époque.
Flagada! On s’assoie à l’ombre d’un arbre couleur braise (Brasil) dont le tronc impressionne. Les réflexions longtemps retenues fusent de l’assistance « Les peuples primitifs s’ils sont perdus au sens littéral sont perdus dans le temps, or le temps est ce dans quoi nous sommes perdus eux comme nous, chacun par rapport à l’autre » Homo est à la même espèce Sapiens. Il répond à certains besoins et intérêts humains universels. Est-ce le mythe de l’argent ou du matériel sophistiqué (transistors, portables, motos, cannettes, etc.) grignote sa place comme le fut auparavant le miroir, la casquette ou les lunettes solaire ? Ainsi selon C.L.Strauss, les mythes des peuples primitifs peuvent nous enseigner de mieux comprendre quelques-uns des aspects les plus complexes de notre propre vie intérieure. À cette allure, les mœurs des Yanomamis vont dans quelques siècles nous imiter et nous damer le pion à partir de leur hamac. Hâtons-nous de vivre, l’histoire et l’anthropologie vont s’épuiser et fermer leurs ridelles.
Réda Brixi