L’union des producteurs et productrices de cinéma du Québec (UPPCQ) s’est formée naturellement à la suite des réactions aux programmes de la SODEC mis en place l’an dernier. Des échanges ont permis la remise de recommandations à la SODEC et de premières consultations avec Téléfilm en novembre dernier. Puis des rencontres subséquentes ont dégagé des constats plus larges qui ont amené à sa récente fondation.

D’abord, il faut faire le constat de l’extrême précarité de nos entreprises de production de cinéma, qui sont pourtant parmi des plus actives. Le contexte où nos financements diminuent, le coût grandissant des équipes, poussé par les tournages américains, explique dans son essence cette situation. Au final, nombreux sont ceux de nos membres qui ne se payent qu’une fraction de ceux qu’ils embauchent – faisant un travail aux exigences et responsabilités complexes qui s’étendent sur des années – et couvrant de leur poche film après film les dépassements, pour que la vision des créateurs qu’ils épaulent se rende à nos écrans. Une situation qui est devenue, avec le temps, intenable.

L’autre constat était l’opacité quant aux visées des organismes destinés à soutenir notre développement et qui ne nous semblent vouloir répondre dans la révision de leurs programmes qu’à celui du lobby d’une poignée d’organismes et entreprises. Un processus menant, bon an mal an, à des changements qui nous semblent souvent incompréhensibles et toujours aussi inaptes à faire face aux grands défis qui se dressent devant nous.
Car malgré le tsunami de la numérisation qui s’abat sur notre milieu depuis les 25 dernières années, la nature des soutiens à notre industrie est restée, pour sa part, essentiellement inchangée. Notre époque est pourtant celle de l’érosion de l’expérience commune et d’une préoccupante fragmentation de l’expérience médiatique illustrée par les médias dits sociaux – avec la fuite à l’étranger de revenus qui allait hier encore aux médias d’ici.
Cela se passe à une époque où nombre de défis de grande ampleur appellent à la nécessité d’un espace culturel commun mais par ailleurs varié, à une concertation nationale et à une culture de l’image : en somme à une information et à une culture commune digne de ce nom. L’explosion du phénomène de la propagande et du faux; les vacillements géopolitiques; les défis climatiques et sanitaires; le racisme systémique; le devoir de réconciliation avec les Premières Nations; l’atteinte de la parité homme-femme sont certainement des plus criants. Des enjeux touchant, il faut le reconnaître, le cœur de nos sociétés démocratiques. Nos entreprises culturelles ont-elles les moyens d’y faire face? Devant ces défis, avons-nous la vision qui a permis, en d’autres temps incertains, la création de l’ONF ou de Radio-Canada?
L’UPPCQ doit avoir son assemblée générale en octobre prochain. À la sortie de cette première assemblée, notre union aura désigné un premier conseil d’administration. Le comité exécutif sortant lui remettra une première série de recommandations qui pourra, nous l’espérons, l’aider dans sa tâche. Il reviendra toutefois à ce conseil d’administration de contribuer de la manière qui lui semblera opportune à la réflexion sur ces questions. L’exécutif sortant de l’UPPCQ s’est néanmoins vu contraint par les développements récents au Fonds Harold-Greenberg de prendre position au nom de ses membres actuels et de tous celles et ceux qui ont contribué à ses réunions de réflexion.
Il nous semble qu’à l’évidence le groupe Bell Média ne craint aujourd’hui ni le CRTC, ni la sanction du public. La montée en puissance des acteurs du domaine de service par contournement, soit les Amazon, Netflix – auxquels tentent de répondre les Illico et Crave – explique l’essentiel de la perte d’autorité du CRTC. La crise sanitaire a accéléré la migration des consommateurs québécois vers ces services de contournement où la langue semble d’importance minime. Bell ne voit donc pas pourquoi il devrait soutenir une production française coûteuse dans ce contexte, sans la peur du bâton et l’attrait de la carotte.
Si la réponse à court terme pour le domaine de la production à la crise qui le secoue peut bien être d’arriver à forcer Bell, dont le siège social est à Montréal, à revenir sur sa décision sous la menace de sanction du CRTC sur Noovoo, une réponse plus fondamentale demandera des actions encore plus décisives. Il s’agit de forcer la présence des contenus nationaux sur toutes les grandes plateformes exploitant notre territoire.
Ce ne sera pas tâche facile. Même lorsque déterminés, des pays comme l’Australie et France peinent à faire la démonstration qu’un État seul peut s’attaquer à de tels grands groupes, systèmes étanches qui mettent à mal la notion de souveraineté. Peut-être est-il donc le temps pour le Québec et le Canada de promouvoir une actualisation de l’exception culturelle face au tout commerce, à laquelle pourraient adhérer d’autres législations et États ?
Car ce n’est que lorsqu’une telle exigence règlementaire existera, que la chaîne de valeur de la production francophone pourra redevenir plus stable et pérenne. C’est donc ce que nous recommandons à nos gouvernements, afin qu’ils ne s’attaquent pas seulement à cette triste manifestation de la crise actuelle qui secoue nos médias – qu’est l’abandon par un groupe aussi important que Bell de son soutien à notre filmographie nationale – mais aussi, qu’ils s’attaquent enfin à sa cause.

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