L’Histoire de l’Algérie n’a pas fini de dévoiler tous ses secrets. L’œuvre d’Amel Chaouati[1] Les Algériennes du château d’Amboise[2] place le lecteur au cœur de l’entourage de l’Emir Abd El Kader. En 1848, l’Emir Abd El Kader et sa suite, composée d’une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, furent transférés en France à Toulon, puis à Pau et enfin au château d’Amboise où ils furent enfermés jusqu’en 1852. Ce fait historique a toujours retenu l’attention en relatant les faits en lien immédiat avec L’Emir. Pendant quatre ans, la souffrance était certes perceptible mais pourquoi les historiens ne se sont focalisés que sur l’Emir Abd El Kader. Pourquoi ont-ils occulté la présence les femmes ? C’est pour répondre à cette interrogation qu’Amel Chaouati a mené ses recherches. Elle donne les noms de celles qui ont accompagné l’Emir Abd El Kader en leur accordant toute l’importance qu’elles méritent.

Amel Chaouati ouvre l’horizon aux historiens qui cherchent non à prendre position mais à rester fidèle aux faits tels que vécus. Afin que l’on comprenne l’esprit de Les Algériennes du château d’Amboise, l’auteure a bien voulu répondre à quelques questions :

L’initiative : À la page 12 vous avez écrit : « L’histoire du duc d’Aumale est surtout marquée par sa victoire contre le chef de l’Oranie en 1843 provoquant en moins de deux heures, près de l’oued Taguin dans le Sahara, la chute de l’insaisissable ville nomade édifiée par Abdelkader, ezmala, transformée en smala ». Est- ce que vous pouvez donner plus de détails quant à ce volet de l’histoire ?

Amel Chaouati : 1843, fut une date décisive dans l’affaiblissement du pouvoir d’AbdelKader Ben Mahiedine (c’est toujours ainsi qu’il signait ses documents) et l’expansion de la France sur tout le territoire algérien. Sa ville nomade, nommée Ezmala, plus connue sous le nom francisé, la Smala, fut mise à terre près de l’oued Taguin. Il y avait surtout des femmes et des enfants ; Abdelkader et ses lieutenants étaient à l’extérieur. Les pertes humaines étaient considérables du côté algérien et nombreux furent captivés, emprisonnés ou déportés sur l’ile Saint Marguerite, près de Cannes, là où se trouve encore un cimetière. Un autre fait grave marqua cet événement sur lequel on ne s’arrête jamais, c’est l’autodafé. Abdelkader avait 15000 ouvrages environ, livres et manuscrits rares, toutes disciplines confondues. Son projet était de construire une bibliothèque. La plus grande partie de sa collection avait été détruite ou brulée volontairement. Un tableau immortalisant la prise de la Smala fut peint par Horace Vernet. Il était considéré comme le plus grand tableau de France au 19ème siècle.

La chute de cette ville nomade insaisissable jusque-là avait contraint le chef algérien à se replier sur le Maroc qui le soutenait jusqu’alors. De là il avait poursuivi sa résistance et son combat jusqu’en 1847, date à laquelle il rendit les armes à la condition qu’on le laisse s’exiler en Orient avec tous ceux qui voulaient le suivre. La promesse lui fut donnée mais pas respectée ; c’est pourquoi il se retrouva prisonnier en France pendant cinq ans avec toute sa suite composée de sa famille, de ses lieutenants et leurs familles puis de ses frères et leurs familles aussi, soit près de cent cinquante personnes.

À la page 166 vous avez écrit : « ce jour-là, j’ai découvert une lettre officielle déclarant la restauration de la tombe de « Marie épouse d’Abd el Kader » en 1990 pour la somme de 9000 francs ». Dans quelle mesure ce fait est-il marquant ?

Pendant ma recherche sur l’histoire des femmes et des enfants emprisonnés au château d’Amboise avec Abd El Kader Ben Mahiédine, un passé jamais raconté jusque-là, je suis tombée sur des lettres officielles récentes évoquant la restauration en 1990 d’une tombe qui « appartient » à une épouse chrétienne du chef algérien. Cette découverte était surprenante car je n’avais jamais rencontré ce nom durant toute ma recherche. Lorsque j’ai consulté l’état civil de la ville d’Amboise, j’ai découvert que cette femme est en réalité Algérienne, baptisée à Alger d’où le prénom de baptême, Marie Eugène. Son nom non mentionné dans les documents est Bent Riahi. Dans le registre de l’état civil il est surtout bien précisé qu’elle était célibataire. Il y a un détail qui confirme l’absence de crédibilité de cette information. Ce qui rend douteux ces informations c’est une grande anomalie. Au moment de réhabiliter la tombe de « Marie » dans le cimetière communal, le cimetière regroupant les corps de 25 Algériens et Algériennes dont la troisième épouse de l’émir, Mbarka, et ses enfants, était à l’abandon au cœur même du château d’Amboise, là où ces Algériens avaient été emprisonnés pendant quatre années. Il a fallu attendre 2005 pour que le cimetière soit réhabilité par l’artiste algérien Rachid Koraïchi. Je livre ici mon hypothèse quant à l’identité de cette jeune femme : les autorités françaises avec le soutien de l’église, très présente pendant la détention d’Abd El Kader Ben Mahiédine à Amboise, auraient conduit cette jeune Algéroise jusque-là pour mettre à exécution leur stratégie d’influence sur les femmes et l’émir afin de les rallier à la France et à sa culture et les convaincre d’y rester. Seulement cette jeune fille est morte très vite. On pourra comprendre les fondements de mon hypothèse à partir de la recherche que j’ai effectuée. Mais seule une véritable recherche pourra mettre à jour la vérité sur l’identité de cette Algéroise morte à Amboise en 1849.

L’exemple de cette tombe est selon moi le témoin de la persistance des légendes autour de ce personnage historique entre la France et l’Algérie à nos jours. Des légendes propagées non pas comme telles mais comme des vérités historiques. Mon livre contribue à effacer quelques-unes d’entre-elles afin de contribuer à rétablir la vérité historique dont on a grand besoin aujourd’hui.

Nous trouvons beaucoup de précisions à la lecture de Les Algériennes du château d’Amboise C’est à dire une concomitance est faite entre le parcours de l’Emir Abdelkader et les différentes femmes. Pouvez-vous expliquer pourquoi ces femmes sont les oubliées de l’Histoire et croyez-vous que votre livre va changer l’angle de vision des historiens ?

Personne n’ignore que depuis longtemps ce que l’on appelle l’universalité de l’histoire est en réalité l’histoire des hommes écrite par eux. On peut donc parler d’une demi-histoire car il manque l’autre moitié de l’humanité, les femmes. Ce qui manque surtout c’est cette interaction entre les hommes et les femmes qui font l’Histoire. Les écrits autour d’Abd El Kader Ben Mahiédine n’échappent pas à ce schéma classique d’autant que sa personnalité a beaucoup fasciné. Taire l’histoire des femmes est donc sans surprise. Mais selon moi, il y a une autre raison qui a mis le voile sur cette partie de l’histoire. Longtemps le silence a été imposé sur la période d’emprisonnement du chef algérien en France après sa reddition. Du côté de la France comme du côté de l’Algérie, cet épisode de l’histoire n’est pas encore digéré et assumé.

Mon travail de recherche permet enfin de rendre visible ces femmes comme actrices de l’histoire et comme sujet de recherches. Il ne faut pas négliger également le regard de la chercheuse que je suis sur cette histoire habituellement écrite par les hommes. Un regard qui bouscule les standards. Introduire l’histoire des femmes dans le champ de l’histoire de cette figure historique mais plus largement dans l’histoire coloniale, apporte inévitablement un regard nouveau et renouvelé pour mieux approcher la vérité. Nous apprenons par exemple comme je l’ai mentionné plus haut que les autorités coloniales n’avaient pas négligé l’importance sur leurs points de vue sur les décisions d’Abd El Kader. Je voudrais préciser que ma démarche n’exclut pas les hommes, au contraire. Ce travail n’a de sens qu’en traitant de l’interaction entre les hommes et les femmes. Nous découvrirons alors les rivalités, les conflits, les rapports sociaux, le rapport des classes,…mais également la rencontre sur le mode traumatique des deux peuples sur le sol français.

Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi

[1] Amel Chaouati est née à Alger en 1971. Elle vit en France depuis 1992. Elle est psychologue, psychothérapeute. En 2005, elle a fondé l’association Le Cercle des Amis d’Assia Djebar http://cercledesamisassiadjebar.jimdo.com.

Elle a coordonné l’ouvrage collectif LIRE ASSIA DJEBAR ! (La Cheminante, 2012/ Sédia, 2015) et Traduire Assia Djebar (Sédia, 2018)

[2] Ed/ La cheminante, 2013.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

Read previous post:
MOI ET CIE – Survivalistes: une nouvelle série docu-réalité avec Patrice Godin !

À voir sur MOI ET CIE dès l’hiver 2020 Survivalistes : une nouvelle série docu-réalité avec Patrice Godin ! PHOTO...

Close