C’est aux confins du Sahara algérien que Sara Nacer, la cinéaste algéro-québécoise, est allée filmer la diva de la musique gnaoui, Hasna El Becharia, dans ce qu’il y a de plus intime en elle. Ce film, c’est son récit biographique, son histoire d’amour avec la musique, sa vie tout bonnement!
Dans une approche privilégiant la proximité avec le personnage et un tournage naturel faisant ressortir le réel de l’instant, le documentaire de Sara Nacer donne à voir un portrait profond et authentique de cette gardienne d’un patrimoine musical ancestral. Hasna revient, dans un aveu passionné, sur son premier flirt avec le guembri, l’instrument phare de la musique gnaoui, qu’elle-même avait fabriqué, pour livrer, en catimini, ses premières notes, qui allaient sonner le glas du privilège masculin dans cet univers musical. La môme de la vallée de la Saoura devient la première joueuse du guembri, transgressant ainsi les codes établis dans la sociologie de la musique gnaoui. En autodidacte et en aparté sur la terrasse de la maison familiale, la merveilleuse chimie avec le guembri, telle un effet mystique, avait vite fonctionné pour faire d’elle une virtuose. C’est la réponse à l’appel irrésistible de l’instrument de ses ancêtres pour perpétuer un héritage aux couleurs, désormais, féminines.
La célébration des mariages dans sa région natale lui donne ses premières scènes, avec sa troupe féminine, en s’appropriant les différents registres populaires de la Saoura. Son passage, en 1999, au Cabaret Sauvage, ce lieu mythique au cœur du parc culturel de la Villette à Paris, la propulse sur la scène internationale, avant même qu’elle soit connue dans son pays natal. Ce passage était crucial dans sa carrière comme le montre le fonds d’archives audiovisuelles mobilisé par le film, et le précise Sara Nacer lors de notre échange avec elle. Ses prestations au Cabaret Sauvage étaient un franc succès et ont été couronnées par la sortie de son premier album, Jazair Djawhara, en 2002. Un album hommage à son Algérie meurtrie, avec en corollaire une renommée qui lui ouvre la porte de nombreuses scènes internationales (Italie, Canada, Maroc, Égypte…). C’est en 2013 que le public québécois découvre cette pionnière de la musique diwane au festival Nuits d’Afrique de Montréal. Cette production en terres d’Amérique, qui était les premières caméras posées pour ce film, a laissé une très bonne impression!
Après ce long périple, la patronne des transes gnaoui décide de regagner ses pénates pour renouer avec son premier public exclusivement féminin lors des célébrations des mariages. Et c’est dans sa modeste demeure et dans les ruelles de son village que la caméra de la cinéaste est allée poser son regard intime sur le quotidien de cette héritière de la lignée des Gnawa. Le rendu est incroyablement naturel, qui laisse transparaitre une femme attachante, généreuse et porteuse de vertus ancestrales!
La rockeuse du désert est un documentaire humaniste qui nous a raconté, dans une intimité inaltérée, l’histoire passionnante d’une icône au féminin, qui a non seulement révolutionné la musique gnaoui, mais également les normes sociétales et culturelles dans sa région. Il se veut, comme le précise Sara Nacer, un hommage digne à rendre à la rockeuse du désert de son vivant!
Sofiane Idir