Le film d’Olivier Godin aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal revisite l’œuvre fondatrice des Grands Ballets Canadiens de la pionnière de la danse classique au Canada, Ludmilla Chiriaeff

C’est l’histoire de la toute première troupe de ballet professionnel du Québec, Les Grands Ballets Canadiens, créés par Ludmilla Chiriaeff en 1957, que nous restitue en 68 minutes le film documentaire d’Olivier Godin, La suite canadienne, présenté à la 26e édition des RIDM de Montréal.

Olivier Godin part pour saisir les moindres gestes d’une troupe de danseurs qui revisite la Suite canadienne, une pièce de ballet créée par Ludmilla Chiriaeff en 1957, télédiffusée en 1958 à Radio-Canada lors de l’émission L’Heure du concert, et présentée après à la reine Élisabeth pour présenter le Québec. Cette œuvre a fait germer le style de la danse classique du Canada français, voire de tout le Canada, une sorte de fusion entre la tradition européenne et les influences américaines. C’est le Canadien français qui danse, et avec son style bien distingué, part à la conquête du monde.

La découverte de ce document d’archives par Adam Kinner, un artiste multidisciplinaire, est la genèse de ce projet auquel il a invité cinq artistes de formations différentes (Mulu Tesfu, Kelly Keenan, Justin de Luna, Louise Michel Jackson, Hanako Hoshimi-Caines) pour vivre cette expérience de partage du sensible à travers le ballet, une danse élitiste dont les critères d’acceptabilité sont rigides. Ce projet pose un regard critique sur l’œuvre, hautement politique et culturelle, de Ludmilla Chiriaeff, la pionnière de la danse classique au Québec et au Canada. L’appropriation de cette pièce par ces artistes permet de l’extirper de son contexte historique et de la reposer au présent à travers l’émotion du moment. C’est ce tourbillon d’émotions que la caméra d’Olivier Godin est allée capter dans une immersion intime avec la troupe qui s’ingénie à reproduire la Suite Canadienne. Chacun des artistes établit un rapport particulier avec cette œuvre, et dans l’histoire narrée par leurs gracieux mouvements pas toujours parfaits, il s’établit une sorte d’osmose capable de contenir toutes leurs différences. Le film nous restitue des fragments intacts de cette expérience qui est une sorte d’un pêle-mêle de sentiments et d’émotions qui décrivent la relation établie par chaque artiste avec cette œuvre.

L’approche du réalisateur est originale, métissant le documentaire et la fiction. Elle suit le chorégraphe Adam Kinner, porteur de ce projet, dans sa fouille archivistique (documents, photos et vidéos de Ludmilla Chiriaeff à l’orphelinat de Lac Noir) pour créer, en collaboration avec les danseurs professionnels, une pièce sur la base du corpus d’archives retenu. Le film revient sur les lieux de mémoire pour rendre le passé présent, visite les instituions publics pour rappeler que la danse classique peut être un acte politique, et incarne le personnage de Ludmilla Chiriaeff par la comédienne Ève Duranceau. Cette fiction est une manière de rendre hommage à cette immigrante russe qui a introduit la danse classique au Québec, longtemps interdite par l’Église catholique, en lui insufflant une identité locale s’inspirant des danses folkloriques traditionnelles.

Le film d’olivier Godin pose un nouveau regard sur l’histoire de la danse classique au Québec et met au jour une grande œuvre dont les résonances politique et culturelle sont encore palpables aujourd’hui. C’est une célébration qui rend hommage à la première dame de la danse classique au Québec, celle qui voyait grand contrairement au « little » réservé au Canada français. Cette célébration porte aussi une invitation à la réflexion sur les fondamentaux et les valeurs de cet art élitiste.

Sofiane Idir

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