Le berger errant[1] de Kamal A. Bouayed[2] se veut un roman philosophique ouvrant la voie à la réflexion profonde. Le personnage principal se présente de lui-même : « Mon nom est Amghrar, j’ai tué mon père, j’ai passé cinq années au fond du désert, seul, comme un vagabond, isolé du monde des hommes. J’ai erré sans but, en compagnie de moutons, de chèvres et de brebis. Durant tout ce temps ils ont été mes compagnons, ma famille, ma conscience. Le ciel a été mon toit, le sable fin mon chemin, le vent incessant ma musique, le soleil impérieux ma foi et l’immensité du vide ma raison. Durant tout ce temps, je n’ai rencontré personne, je n’ai vu personne, je n’ai parlé à personne…»[3].
Les animaux qui ont accompagné son parcours ont été nommés : « Je leur avais mis des noms et ils répondaient à mon appel sans hésitation. Les chèvres Trika et Brika, le bouc ‘Umba, les deux brebis Azza et Mazouza et les moutons Dakoro et Kornaka »[4]. Pendant cinq ans, la vie au cœur du désert n’a été que constatations et remarques : « Mais de tous les animaux du désert, ceux que je craignais le plus étaient les loups, non, pas les fennecs, ces rusés renards du Sahara, sinon ce que les habitants du désert connaissent par le dib, de véritables loups qui brisent la quiétude des nuits du Sahara en lançant de longs hurlements pour indiquer leur présence ou impressionner une victime prochaine »[5].
Ce que véhicule la pensée du retour :
Amghrar raconte : « Cinq longues années étaient passées depuis mon arrivée au Sahara pour y élire refuge, pour lutter contre les hordes de vent et de sable, pour marcher sans relâche afin de ne pas mourir, pour dénicher l’eau et la nourriture même sous les roches, pour apprivoiser le soleil et dompter les nuits sans lune »[6]. En plongeant dans les profondeurs de son âme, Amghrar s’est vu transformé : « À mes frères et sœurs, je leur ai longuement parlé de mes tribulations, de mes découvertes, de mon âme désormais autre, de ma nouvelle lecture de l’ordre et du désordre dans le monde, de la relation cause-effet qui régit nos vies, qui commande le cosmos et qui feint que les aléas de notre existence soient le fruit d’un événement aléatoire et donc corruptible »[7].
Quand l’être humain fuit une situation, il cherche des points d’ancrage qui lui donnent la possibilité d’oublier ce qu’il n’est plus capable d’affronter. En allant vers l’ailleurs il ne reste plus prisonnier d’un geste commis par inadvertance mais il redevient maître de son destin.
Lamia Bereksi Meddahi
[1] Ed/Enag, 2016.
[2] Le 21 septembre 2017, il a soutenu sa thèse de doctorat autour du thème : « « Mushaf ´Uthman dans al-Andalous et le Maghreb à travers les chroniques musulmanes. Études et analyses des sources » à l’université Complutense de Madrid.
[3] Id, p. 11.
[4] Ibid, p. 55.
[5] Ibid, p. 59.
[6] Ibid, p. 101.
[7] Ibid, 105.