À quoi ressemblera l’humanité dans dix, cinquante ou cent ans ? Cette question est au centre de l’existence humaine, car dans la vie de tous les jours on se demande souvent de quoi sera fait demain, que ce soit pour prévoir une sortie, une journée de travail ou tout simplement pour se prémunir contre l’inconnu. Dans ce contexte la bande dessinée « Le Convoyeur[1] » atteint sa cible en invitant le lecteur dans un monde infecté par la rouille : « La légende veut qu’elle soit venue du noyau de la terre, là où il y a du fer à profusion. L’irruption d’un volcan en Ylande ou quelque chose comme ça » (P.4).
La silhouette inquiétante du convoyeur qui chevauche sa monture au milieu de villes fantômes amène le lecteur à feuilleter les pages de ce premier volume, qui s’intitule sobrement « Nymphe ». La désolation des lieux communs ou du moins ce qu’il en reste, s’explique par le fait même que la rouille a dévasté lentement mais sûrement la propriété des objets du quotidien car : « Le fer était partout. Dans l’acier de nos ponts, dans le moteur de nos voitures, dans nos chaudières, nos ordinateurs, nos usines, nos outils. La vie à laquelle nous étions habitués s’est arrêtée du jour au lendemain » (P.4). Dans son périple, le convoyeur passe par ce qui reste du Pont suspendu du Millau et traverse une ville fantôme, où l’on reconnait les vestiges d’un magasin Leclerc. La condition de l’homme est ramenée au Moyen-Âge. Les anciens châteaux et autres forteresses de pierre demeurent encore debout.
Si Tristan Roulot au scénario et Dimitri Armand au dessin trouvent leur inspiration dans la culture populaire (Ken le survivant, Mad Max, etc.), ils réussissent surtout à créer à travers cette œuvre un univers qui dispose de ses propres codes avec des règles de survie nous font penser à celles de Walking Dead : Il faut se méfier de tout le monde et toute interaction est objet de marchandage.
Le convoyeur est ainsi reconnu pour livrer à bon port les biens et les personnes qu’il doit transporter. Il dispose d’un code d’honneur. Il ne ment jamais. Et lorsqu’il remplit sa mission, il demande à ses commanditaires d’avaler un mystérieux œuf.
Telle est la trame de l’histoire du convoyeur, dont on découvre peu à peu les pouvoirs : « Car la bactérie n’a pas seulement affecté nos structures ou notre environnement » (P.5). Elle a aussi modifié le fer présent dans le sang des humains, ce qui a eu pour effet de modifier au fil des ans la structure génétique des espèces vivantes, causant par la même des mutations génétiques pour une grande partie de la population.
Dans ce premier volume, la première mission du convoyeur donne le ton de celles qui suivront car le danger guette à chaque coin et le chasseur peut être chassé à son tour.
Le réalisme des dessins et le choix des couleurs par Dimitri Armand démontre encore une fois sa maîtrise de l’art graphique et la gestuelle des corps qui se marie totalement avec les gros plans qu’il consacre aux visages expressifs des personnages . On reconnaîtra dans « Le Convoyeur » les similitudes graphiques avec celles de deux des précédentes œuvres de l’artiste à savoir « Sykes » et « Texas Jack » dont les récits se passent dans l’ouest Américain. L’artiste fait équipe avec Tristan Roulot à qui l’on doit « Hedge fund », « Irons » et « Crypto-monnaie ».
Pour finir, on se permettra de poser une question : ne sommes-nous pas déjà dans le futur ? Pour y répondre, les auteurs ont pour ainsi dire eu une imagination avant-gardiste comme on peut le lire dans les premières pages du livre en parlant de contagion par la rouille : « La contagion a pris tout le monde de court. Ils avaient imaginé des protocoles en cas de pandémie humaine, mais personne n’avait rien prévu contre une bactérie qui s’attaquerait au métal » (P.4). À l’heure du covid-19, on n’a pas de mal à se plonger dans cette bande dessinée en nous disant que nous sommes déjà en pleine pandémie.
Réda Benkoula
[1] Le convoyeur T.1: Nymphe | Par Tristan Roulot & Dimitri Armand | Le Lombard | 2020 | 56 pages