Sofia Aouine[1], dans son premier roman Rhapsodie des oubliés, délègue comme personnage principal Abad. Originaire du Liban, il vit dans la rue Léon située à Barbès. Il affirme : « C’est mon père qui a choisi qu’on débarque ici. Je me dis souvent que ce vieux doit aimer la misère, comme si c’était la femme de sa vie »[2]. Dans ce quartier où différentes nationalités se côtoient, le sens de l’errance, de la recherche de l’amour, des points de repères sont perceptibles. Ce roman accorde une grande importance aux plus démunis. Gervaise d’origine camerounaise, est tombée enceinte d’un Blanc chez qui elle faisait le ménage, était devenue la représentante de la honte dans sa famille. Cette réalité la contrainte à quitter le pays.

Elle se retrouve dans le quartier où vit Abad : « Mais nos rencontres et ces tout petits trucs qui nous liaient faisaient notre bonheur. Trouver un court instant de grâce dans un misérable croûton, c’est un vrai truc de cassos (un peu comme nous en vrai) »[3]. Cet adolescent de treize ans témoigne de ce qui se passe dans un lieu où l’amour et l’attention manquent. Il mène le lecteur dans des endroits insoupçonnables.

  • Ecriture et influences :

Dans ce quartier du XVIII arrondissement où le trafic de drogue, la prostitution, la délinquance se côtoient, ceux qui y vivent luttent à longueur de journée pour s’en sortir. Œuvrer pour que la misère ne s’installe pas définitivement. Ruser pour récolter des instants de plaisir auprès des prostitués. Ce qui rassemble tous les protagonistes du roman c’est ce qu’ils ont vécu dans leur passé et le quartier dans lequel ils vivent. Dans une interview accordée à Mediapart en octobre dernier Sofia Aouine soulignait que : « C’est un quartier dans lequel j’habite, c’est un quartier qui m’est apparu aussi un territoire de fiction intéressant pour multiples raisons (…) La rue Léon dans laquelle j’ancre le livre c’est la rue dans laquelle Zola a ancré l’assommoir (…) Zola a ancré l’assommoir pour raconter un roman qui est l’odeur du peuple et la langue du peuple, d’ailleurs à l’époque il a fait scandale. L’intérêt pour moi c’est de me demander comment le déterminisme social du XIXème siècle a évolué aujourd’hui ? Il a évolué avec l’histoire de France, il a évolué avec l’histoire des mémoires. Mais au-delà d’être un roman social c’est un roman sur ce qui nous lie. La dernière phrase de l’épilogue : Ce qui nous lie, ce sont les enfants que nous avons été »[4].

L’esprit du naturalisme qui a caractérisé le XIXème est omniprésent dans Rhapsodie des oubliés. L’auteure ne se contente pas de décrire les lieux où les personnages mais explore les sentiments qui sont invisibles. Elle donne la parole à ceux qui agonisent et qu’on n’entend même pas.

Lamia Bereksi Meddahi

 

[1] Lauréate du prix de Flore. Algérienne d’une famille Kabyle, elle est née en 1978 dans les hauts de seine. Elle est reporter et documentariste.

[2] Sofia Aouine, Rhapsodie des oubliés, Ed/De la Martinière, 2019, p. 11

[3] Id, 131.

[4] Sofia Aouine, « On peut tout mélanger » (vidéo en ligne YouTube). Mediapart, Tire ta langue, 07/10/2019,

(19/11/2019)

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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