Il y a cinq ans nous nous sommes interrogés sur la viabilité d’un salaire minimum à 15$ au Québec ce que revendiquaient des organisations syndicales et des collectifs (voir notre papier de février 2018). Les experts étaient partagés sur cette question. Aujourd’hui, une chose est sûre : les études (Banque du Canada, économiste Pierre Fortin…) qui prédisaient des pertes d’emploi si le salaire minimum augmentait à 15 $ étaient irréalistes et juste alarmantes ! En 2023, on parle encore d’un salaire minimum de 15$ au Québec dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre au quatrième trimestre, on recense environ 208 000 postes vacants (Statistique Québec) et d’une inflation persistante (taux d’inflation est de 5,2 % en février au Québec (Statistique Canada).

À compter du 1er mai, le salaire minimum passe à 15,25$ l’heure au Québec, soit une bonification de 1$, la plus importante depuis 1995. Pour les salariés rémunérés au pourboire, leur salaire minimum passe à 12.20 $ l’heure, soit une augmentation de 0,80 $. Cette valorisation bénéficiera à 298 900 salariés et permettra de maintenir la cible d’un ratio de 50 % entre le salaire minimum et le salaire moyen pour la période 2023-2024. Rappelons que le salaire minimum fédéral, indexé à l’inflation, est passé à 16,65$ l’heure le 1eravril.

La hausse du plancher salarial québécois préserverai-t-il le pouvoir d’achat des travailleurs au salaire minimum détérioré par l’inflation ? Et quel est le salaire qui permettrait à un ménage de vivre décemment au Québec? 

Le salaire minimum au Québec est-il en décalage avec la réalité ?

Dans la théorie, un salaire minimum est fixé à un niveau permettant au salarié qui travaille à plein temps de s’affranchir de la pauvreté et de vivre dignement. Ce salaire augmente d’année en année pour s’ajuster à la hausse du coût de la vie. Cependant, ces ajustements annuels sont-ils suffisants pour atteindre un niveau de vie exempt de pauvreté ? Pour l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS), qui se penche sur la question depuis plusieurs années, au Québec, environ une personne sur cinq vit sous le seuil du revenu viable, estimé à un salaire minimum de 18 $ l’heure. C’est le même salaire que réclament pour combattre efficacement la pauvreté au Québec. Ce revenu viable de l’IRIS se base sur un panier de biens et de services de base qui inclut l’alimentation, les vêtements, le logement, le transport et les frais de santé.

Au Québec et dans d’autres provinces canadiennes, le gouvernement ajuste le salaire minimum pour qu’il se situe à 50% du salaire horaire moyen. En effet, cette manière de fixer le salaire minimum ne prend pas en considération le seuil de pauvreté, mais elle postule de permettre aux entreprises de mieux planifier les salaires qu’elles versent aux employés. Un argument qui ne tient pas la route, et qualifié par Julia Posca, chercheuse à l’IRIS, d’« arbitraire », qui suggère au gouvernement de fixer le salaire minimum sur la base du revenu viable s’il veut combattre la pauvreté.

En effet, les craintes liées à l’impact que pourrait avoir une hausse du salaire minimum sur les prix à la consommation et les pertes d’emplois ne sont pas réalistes dans un contexte de pénurie de main d’œuvre et d’inflation nourrie par d’autres facteurs (énergie, marge de profit, conflit géopolitique, goulot d’étranglement…). D’ailleurs, nombreux sont les employeurs qui augmentent leur salaire d’entrée pour séduire une main d’œuvre de plus en plus rare.

Sofiane Idir

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