Il arrive souvent un moment de notre vie où l’on ressent l’envie de se raconter. Tout ce qui avait contribué à nous brimer devient une source d’inspiration pour mettre à nu les sentiments profonds. Dans son livre Les barbelés ne sont pas toujours le long des murs[1], l’auteure qui s’est attribué un pseudonyme témoigne d’un esprit qui refuse la norme et qui préfère aller vers les pensées qui l’extirpent de la sclérose des esprits. À la lumière de cette idée, Neyla Ayssi a bien voulu répondre à nos questions.

L’initiative : À la lecture du livre, nous constatons un esprit qui refuse de se soumettre mais qui tente toutefois de faire des efforts pour répondre aux diktats de la société. Est-ce que vous pouvez expliquer dans quelle mesure ce dilemme est-il lourd à porter ? 

Neyla Ayssi : En effet, ce combat est lourd à supporter dans la mesure où il consiste en une lutte quotidienne à partir du moment où nous en ressentons la nécessité. Refuser de se soumettre aux diktats de la société devient un dilemme dû aux égards que nous devons à ceux que nous aimons, que nous respectons et à l’ensemble de la société qui nous entoure.

Plus nos convictions sont solides, plus le désir de se faire comprendre, celui de se faire admettre tel que nous sommes, devient irrésistible, et plus la société dresse devant nous un seul front. Fort heureusement, il y a la résilience.

À la page 462 vous écrivez : « peu à peu mon choix s’est imposé : ne m’alignant pas sur les us et coutumes, je n’ai plus trouvé ma place en Algérie. » Pensez-vous que c’est le fait que les coutumes soient imposées que la manière de réfléchir est ébranlée ? 

L’origine des us et coutumes, qu’elles soient écrites (us) ou non écrites (coutumes) date des siècles passés, voire de millénaires. Or, du temps de mon enfance nous étions vers la fin du XXe siècle. Le monde a évolué, scientifiquement, technologiquement et socialement. Certes, l’Algérie fait partie des pays qui ont évolué. Toutefois, ses us et coutumes n’évoluent pas ou très peu. Parfois même, elles reviennent en arrière. De plus, je suis née et j’ai vécu ma petite enfance sous la colonisation française. Conséquemment à ce fait, j’ai été fortement imprégnée de la pensée occidentale d’autant plus que j’ai passé l’autre partie de mon enfance, mon adolescence et une partie de ma vie d’adulte dans l’Hexagone. Je suis imprégnée de modernité et des valeurs d’égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines. Que ces valeurs soient d’ordre intellectuel, social, politique ou autre. Or, ce n’est absolument pas ce que l’on constate depuis les années 80 en Algérie.

Néanmoins, je ne renie pas mes origines. Exemples : Lorsque je suis née, presque toutes les femmes de mon entourage portaient le voile blanc. Je considère que ce voile blanc doit être protégé, en qualité de symbole, car il est signe d’élégance de la femme algérienne. Il a participé à la libération du joug colonial durant la guerre d’Algérie. Je le considère comme un habit cérémonial, tout comme le burnous blanc pour les hommes. Tout comme, par exemple, l’habit de soirée occidental nommé queue de pie.

Votre parcours est parsemé de mouvements tant physiques que moraux. Est-ce que vous pouvez citer un seul évènement, qui vous pensez, a mis le projecteur sur votre besoin de révolte ? 

Ici, je parle de ma deuxième maîtresse, qui arrive devant l’école. Elle conduit un vélo avec sa petite fille assise à l’arrière.

« … Bouleversée au plus profond de moi, j’éprouvai un désir impérieux de prendre place avec elles sur ce bel engin. Mes craintes de monter sur un vélo s’étant subitement évanouies, l’envie me prit d’apprendre à conduire cette machine que je croyais être réservée aux garçons. Aussitôt, une autre moi-même mit frein à cet élan en me rappelant ce que maman m’avait enseigné : le destin de chacun était écrit à la naissance. Perplexe, je restai figée à ma place. Tout en continuant à les admirer, je me demandais pourquoi les adultes me répétaient sans cesse que la gent féminine ne devait pas s’aventurer sur cet engin. Or, je venais de découvrir une version différente qui me contrariait. En outre, pourquoi donc m’avait-on laissé monter à l’arrière du vélo de mon oncle ? Tantôt oui, tantôt non… Ma cervelle de gamine avait du mal à s’y retrouver. En somme, je commençais à ne plus me sentir tout à fait bien au sein de mon milieu familial, que j’aimais pourtant. »

Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi 

[1] Neyla Ayssi, Les barbelés ne sont pas toujours le long des murs, Ed/Panthéon, 2019. P. 472

Lancement du livre :
L’évènement aura lieu vendredi 15 novembre 2019 à 18 h à la bibliothèque Laure Conan, 4460 boulevard des Laurentides à Laval.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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