Tout au long d’une vie, les habitudes s’installent sans pour autant chercher à comprendre ce qui les a motivées. L’éducation qu’offrent les parents à leurs enfants fait partie d’un quotidien qui n’est pas dépourvu de ses sens. Delphine de Vigan dans Les Gratitudes[1] place le lecteur dans un univers où la vieillesse appelle l’enfance pour que le geste fait à un certain moment ne tombe pas dans l’oubli.

I- Mémoire et reconnaissance
Michka née en 1935, une vieille dame qui déforme les mots à chaque fois qu’elle les prononce, est hantée par un sentiment très profond. Avant d’aller à la maison de retraire, elle vivait dans un appartement et avait une jeune voisine prénommée Marie. Elles ont tissé un lien d’amitié qui permet d’étaler sa vie sans crainte d’être jugé. Ce qui revenait souvent dans le discours de Michka c’est le fort besoin de retrouver les personnes qui l’avaient accueillie en prenant soin d’elle : « Michèle Seld, dite Michka, recherche Nicolas et Henri qui l’ont accueillie chez eux entre 1942 et 1945 à la Ferté-Sous-Jouarre »[2]. Ce fait marquant dans sa vie est la quintessence du roman.

II- Une rencontre et un espoir

Jérôme, l’orthophoniste, se rend régulièrement dans la chambre de Michka : « J’ai lu dans votre dossier que vous souffrez d’un début d’aphasie. Le médecin a dû vous expliquer. Cela signifie que vous avez du mal à trouver vos mots »[3]. De cette rencontre est née une complicité qui a conduit l’orthophoniste à déployer tout ce qui était en son pouvoir pour rechercher les personnes qui ont accueilli Michèle Seld : « Henri est mort il y a quelques années, mais Nicole est toujours là. (…) Elle est aveugle et elle entend mal. Mais elle a toute sa tête. Je lui ai parlé de vous. Je lui ai dit que vous les aviez cherchés. Mais que vous n’aviez pas leur nom. Elle a compris. Je me suis permis de lui dire combien c’était important pour vous, aujourd’hui, de pouvoir exprimer cette reconnaissance »[4].

Dire merci à ceux qui ont manifesté une réelle générosité témoigne non seulement de la reconnaissance mais aussi d’une grandeur placée à la hauteur d’un vécu. De tous les souvenirs emmagasinés, seul compte ce qui a marqué la mémoire. Puisse-t-il être beau ou morose, ne reste gravé que ce qui a bercé l’enfance. Cette période décisive de la vie où les mots s’exercent à être articulés, les pas à être bien synchronisés, les gestes à être bien mémorisés. Cette étape de l’existence où tout est bâti sur l’innocence, la spontanéité, la sincérité délimite souvent un chemin, qui même si on s’en éloigne, reste un point de repère. C’est bien de ce repère que jaillissent les sentiments de gratitude.

Lamia Bereksi Meddahi  


[1] Ed/J.C Lattès, 2019.

[2] Id, p. 69.

[3] Ibid, p. 39

[4] Ibid, pp : 154-155.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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