C’est connu, la société n’aime pas les vieux! Mais grâce à la plume de Wilfrid Lupano et au coup de crayon de Paul Cauuet, on apprivoise « ces vieux fourneaux» assez facilement et on en redemande pour saisir du coin de l’œil leur façon de penser et leur regard sur la vie.
« Les Vieux Fourneaux » c’est l’histoire du cycle de la vie d’une bande de vieux amis Pierrot, Antoine et Mimile que l’on apprend à connaitre à travers leurs passés, leurs caractères et leurs regards qui en disent long.
Originaires du sud-ouest de la France, la bande de septuagénaire et leurs amis n’ont pas de filtre et après tout pourquoi en auraient-ils? Eux qui ont tout vu ou presque, sont rendus à un âge où ils disent ce qu’ils pensent et advienne que pourra comme on peut le constater avec Pierrot, qui s’affiche haut et fort pour être antisystème au côté du groupe «Ni yeux, ni maître ».
La personnalité exubérante de Pierrot contraste avec celle de Mimile qui arbore derrière son silence une force tranquille qui s’exprime peu sans pour autant s’effacer au point de nous surprendre comme on peut le constater dans ce 5e volume de la série.
Antoine est comme qui dirait le troisième larron du groupe et sans qui la bande dessinée se résumerait à une histoire de « vieux », car grâce à lui, on découvre les personnalités colorées de sa petite fille Sophie et son arrière-petite-fille Juliette.
En construisant les identités de Pierrot, Antoine et Mimile, les auteurs ont pris soin d’y implanter des histoires de familles, qui gravitent autour de l’univers de ces trois inséparables. Les vieux secrets sont bien gardés et comme toujours un brin d’humour et de sarcasme permet au final de refléter la réalité d’aujourd’hui.
Les situations que vivent les vieux fourneaux dans chaque volume sont recherchées. Les scénarios sont soignés et les dessins sont savamment choisis pour donner naissance à des histoires des vies que l’on pourrait qualifié d’universelles. Et pour cause, outre le rapport dialogique entre les personnages, la bande dessinée propose une véritable lecture sociologique des mutations au sein de la société française en prenant pour acquis et de manière indéfectible le temps qui passe.
Dans un contexte de crise sociale où les laissés-pour-compte et les personnes âgées encaissent de plein fouet les changements économiques qui secouent la France, la BD de Lupano et Cauuet s’inscrit admirablement dans le contexte de l’actualité.
On remonte le temps parfois pour comprendre certaines choses avant de se rendre compte que tout évolue dans la vie. Nos héros continuent à vivre comme s’ils avaient vingt ans et ce malgré les difficultés de la vie, les os usés, la vue qui baisse et les cheveux blancs. Ils rechignent, ils moralisent, mais surtout ils saisissent chaque instant comme si c’était le dernier.
L’histoire des vieux fourneaux témoigne de celles et ceux dont les visages ont été marqués par les cicatrices du temps. C’est aussi les histoires de Sophie, Juliette, Fanfan (Francine), Patricia (Patate) et bien d’autres personnages tous aussi attachants que surprenants.
« Bons pour l’asile » qui est le titre de ce cinquième album des vieux Fourneaux est une invitation à lire les précédents au point où on reste sur sa faim, car on a hâte de lire un sixième épisode, même si dans une interview de 2015, Lupano déclarait lors du festival international de la bande dessinée d’Angoulême ne pas vouloir faire plus de cinq ou six volumes : « On s’est calé sur quatre depuis le début en termes de contenu. Il y en aura probablement peut être un ou deux de plus. Je pense qu’il y en aura cinq ou six. Voilà! Mais pas forcément beaucoup plus. En tant que lecteur, je ne suis pas très porté sur les longues séries. Donc j’essaye de ne pas en produire trop moi-même ».
Ce qui est sûr en tout cas, c’est que l’aventure des vieux fourneaux garde tout son punch avec le temps puisque la BD s’est vendue à plus de 1 300 000 exemplaires en quatre ans. Ce succès a fait l’objet d’une adaptation cinématographique qui a été projetée dans les salles françaises l’été passé, avec en tête d’affiche une brochette d’acteurs dont Pierre Richard dans le rôle de Pierrot, Roland Giraud dans celui d’Antoine et Eddy Mitchell dans le rôle d’Émile. Le long-métrage de Christophe Duthuron revient avec humour sur le premier et le troisième volume de la série et le moins que l’on puisse dire, c’est que la collaboration entre le réalisateur et Lupano dans l’écriture du scénario redonne toutes ces lettres de noblesse à l’adaptation cinématographique de cette bande dessinée qui est à juste titre une œuvre artistique à suivre ou à découvrir.
Les vieux fourneaux T.5 : Bons pour l’asile | Par Wilfrid Lupano , Paul Cauuet | Éditeur DARGAUD | 56 pages.
Réda Benkoula