Depuis quelques semaines, Noé Talbot résonne auprès du corps enseignant avec Mon coeur en saigne, sa plus récente chanson qui rend hommage à ses collègues de travail. Lui-même enseignant de français au secondaire depuis plusieurs années, l’auteur-compositeur-interprète a ressenti dernièrement l’urgence de prendre la parole sur la crise qui sévit dans les écoles publiques. Parce qu’il serait temps que les gens au gouvernement comprennent que ce que les enseignant.e.s, tout comme les élèves, ont surtout besoin, c’est de plus d’humanité, de soutien et de temps. La pièce cumule à ce jour des milliers de visionnements sur les plateformes de streaming et des centaines de partages sur les réseaux sociaux.
Celui-ci livre un témoignage de son propre parcours dans le milieu scolaire:
« J’ai fait mon bacc en enseignement du français au secondaire. Puis, j’ai fait beaucoup de remplacement et pris plusieurs courts contrats pendant plus de 2 ans. Je trouvais que l’ambiance dans les écoles était plutôt bonne, mais on sentait vraiment un laisser-aller de la part des enseignant.e.s dû au fait qu’ils.elles ne savaient plus où donner de la tête. Dans chaque classe où j’ai enseigné, il y avait plusieurs élèves en difficulté d’apprentissage, avec des problèmes de comportement, démotivé.e.s, vivant des situations difficiles à la maison et/ou simplement très fatigué.e.s. J’avais cette sensation que l’école globalement les abandonnait. Par exemple, j’étais le 4e enseignant de français qu’ils.elles avaient depuis le début de l’année. C’est donc dire que la crédibilité du système éducatif du Québec est fragile. Les élèves trouvaient que les conséquences étaient souvent une blague et comment leur en vouloir? Comment faire confiance à l’école alors que cette dernière ne leur offre même pas la stabilité, le sérieux et la sécurité dont n’importe quel enfant a besoin?
Je n’ai rien à reprocher à ma formation. Je n’ai pas non plus de reproches à faire à mes ancien.ne.s collègues. Pour aider l’adjointe administrative assignée aux suppléances, ils.elles faisaient pour la plupart des tonnes de remplacement, sans compter l’immense charge de travail qui ne faisait pas du tout partie de leur tâche, mais qu’ils.elles faisaient souvent par amour de leurs élèves. La plupart de mes collègues étaient au bout du rouleau. Les plus motivé.e.s, quant à eux, vous pouvez les retrouver sur les groupes Facebook à la recherche de livres, de divans et de matériel pour embellir leur classe faute de financement adéquat du système.
Que dire de moi qui venais de commencer à enseigner? Je trouvais ça personnellement difficile de tenter de faire plusieurs planifications, parce que j’avais des disparités incroyables au sein d’un même groupe. Certain.e.s élèves pouvaient terminer un travail en 15 minutes, alors que d’autres auraient pris 2 périodes. Je n’étais pas outillé et n’avais pas de support. Personne n’avait le temps de vous informer de la marche à suivre pour les ordinateurs, personne ne faisait le suivi avec vous pour savoir quel.le.s élèves avaient des dispositions particulières, comme du temps supplémentaire pour faire les examens. Déjà, ils avaient trouvé un enseignant, c’était très bien. Ils avaient d’autres feux à éteindre. Une fois, j’ai même été informé que j’avais un nouvel élève le matin même. Comment bien faire son travail lorsque d’un matin à l’autre, un nouvel élève peut subitement débarquer dans votre cours? Évidemment, il faut prendre du temps personnel pour faire le rattrapage avec celui-ci, et toutes mes questions de petit nouveau dans l’école étaient palliées par mes collègues qui prenaient encore des heures de leur temps personnel pour m’aider.
Je crois avoir amplement les capacités pour enseigner et même être un assez bon enseignant. Cependant, j’avais tellement de contraintes, si peu d’aide, si peu de ressources que ce travail ne m’a pas du tout donné l’envie de continuer. J’ai décidé de me consacrer plein temps à ma musique et de simplement donner deux heures de cours par semaine à la Maison Jonathan, organisme venant en aide aux jeunes en difficulté, pour « garder la main ». Il n’y a rien d’anecdotique dans ce que je raconte. Internet regorge d’histoires tristes et de confessions d’enseignant.e.s à bout. Nous sommes collectivement en train d’abandonner l’école publique au Québec.
Nous répétons si souvent aux élèves que l’important c’est d’avoir de bonnes notes, pour avoir un bon travail dans le futur, qu’ils en sont anxieux, malades. Lorsque vous leur donnez un travail, la première chose qu’ils vous demandent, c’est : « Est-ce que ça compte? » Je leur répondais toujours la même chose : « Tout compte. » Sauf que ces derniers temps, je crois qu’autant les élèves que les enseignants sont en droit de se poser la question : « Et nous, est-ce qu’on compte? » » – Benjamin Piette, auteur-compositeur-interprète & enseignant au secondaire
À PROPOS DE NOÉ TALBOT
Né d’un background de frères et sœurs totalement dévoués au punk-rock, Noé Talbot, 28 ans, a fait son chemin depuis la première fois qu’il a foulé les planches à l’âge de 14 ans. C’est l’éthique de l’autonomie qui l’a amené à booker par lui-même plus de 500 spectacles, pour sa carrière solo ou encore pour ses projets en groupe. Durant les sept dernières années, il a tourné autant en Europe, au Canada ou aux États-Unis dans les petits bars de régions ainsi que dans les cabarets et salles de spectacles les plus renommées du Québec.
C’est donc avec l’expérience acquise par la tournée, ainsi qu’avec les ateliers de slam qu’il a donné dans plusieurs écoles secondaires dans les dernières années, que Noé Talbot lançait son premier EP solo, Beurre noir, en mars 2014.
Après avoir livré successivement Déballer le présent ainsi que plusieurs EPs, après avoir fait voyager ses tounes au Québec et en Europe sur des dizaines de milliers de kilomètres, Noé Talbot nous revient, fort de ses expériences des dernières années, avec son 2e album complet Laisser le poste ouvert. Prolifique à souhait, Noé Talbot prépare en 2020 la sortie de son nouvel EP Reprises acoustiques vol.2 en duo avec Dominic Pelletier (Caravane, the Hunters) tout en poursuivant la préparation de son troisième album complet.