La pandémie a forcé bon nombre de parents à s’improviser enseignants et amené l’instruction en famille sur le devant de la scène. Mais à l’heure où beaucoup de changements s’opèrent dans nos vies, entraînant des remises en question profondes, combien sont ceux qui sont prêts à aller plus loin et à envisager que leurs enfants puissent aussi apprendre sans qu’on leur dise quoi faire ?

Le système scolaire en question

Unschooling ou non-scolarisation. Le mouvement n’est pas nouveau puisque qu’il est apparu à la fin des années soixante, aux États-Unis. John Caldwell Holt, éducateur et écrivain américain, est considéré comme son fondateur. Après avoir évolué plusieurs années dans le monde de l’enseignement, il a conclu que le système scolaire plaçait les enfants dans la compétition et la peur de l’échec, les empêchant d’apprendre.

En 1970, le penseur autrichien Ivan Illich, critique de la société industrielle, publie un ouvrage de référence, s’inscrivant dans la pensée de Holt : « Une société sans école ». Illich écrivait alors : « L’instruction ne peut être qu’une activité personnelle…Nous sommes tous prisonniers du système scolaire, une croyance superstitieuse nous persuade que le savoir n’a de valeur que s’il nous est imposé…Le système scolaire obligatoire représente finalement pour la plupart des hommes une entrave à l’instruction. »

Sa pensée a pu paraître peu orthodoxe à l’époque. Si on se penche sur ce qui se passe dans le monde actuellement, sans être complotistes ou révolutionnaires, certains questionnent les directives de leur gouvernement. Ils se demandent si on n’aurait pas pu gérer la crise sanitaire autrement. Attachés à la valeur liberté, ils acceptent que le risque zéro n’existe pas et estiment que ce n’est pas nécessairement à l’État de leur dire ce qui est vrai et bon pour eux. Bien sûr, les adeptes de la non-scolarisation ne sont pas forcément les mêmes qui remettent en cause les mesures liées à la Covid 19. Cependant, ils questionnent eux aussi l’ordre établi et envisagent des avenues plus empreintes de liberté pour leur progéniture. Or, dans les pays où l’éducation est accessible, même si on a vu l’émergence de pédagogies alternatives, beaucoup trouveraient sans doute trop risqué de sortir complètement leurs enfants du système scolaire.

Au Québec, certes, l’instruction en famille n’est pas si rare, comme en témoigne l’existence de l’AQED (Association Québécoise pour l’Éducation à Domicile). En 2020, l’organisme recensait 2.000 enfants faisant l’école à la maison à travers la province.  Cependant, pour l’éducation libre, c’est une autre histoire. Depuis 2017, une modification de la Loi sur l’instruction publique oblige les parents à aviser par écrit leur commission scolaire qu’ils feront l’instruction à domicile et si tel est le cas, il faut alors fournir au ministère un projet d’apprentissage et une évaluation annuelle des progrès de l’enfant. Cela ne cadre pas avec des apprentissages intuitifs et non-formalisés.

Libres d’apprendre pour apprendre mieux

Dans le documentaire « Class dissmissed », sorti en 2015, John Holt explique que les enfants « naissent extraordinairement curieux, pleins de ressources et confiants pour apprendre…Ils mettent du sens dans le monde autour d’eux, à la manière des scientifiques et puis, ce processus est interrompu par l’adulte qui traite l’enfant comme un réceptacle vide et décide ce que celui-ci doit apprendre, empêchant ainsi le merveilleux processus naturel. » Pour les unschoolers, l’éducation se fait plutôt en autonomie, grâce à leur curiosité et leur motivation innées.

André Stern, fils du chercheur et pédagogue Arno Stern, a été élevé en apprentissage libre et il en fait la promotion à travers la fondation de son père. Celle-ci a notamment pour but de « mettre en œuvre un laboratoire international et interdisciplinaire d’observation et de préservation des dispositions spontanées de l’enfant. » Stern travaille avec des neurobiologistes qui considèrent que jouer et apprendre vont de pair et qu’il n’est pas naturel qu’un adulte vienne interrompre le jeu d’un enfant pour lui demander d’apprendre quelque chose. Les scientifiques confirment que l’enthousiasme rend le cerveau plus perméable aux apprentissages. Les enfants non-scolarisés acquièrent des savoirs à travers des expériences du quotidien. Comme ils ont toutes leurs journées pour faire ce qui les intéresse, ils excellent dans leur domaine de prédilection. André Stern explique avoir vécu ce phénomène lorsqu’il a étudié l’allemand, par exemple.

En somme, lorsque l’enfant a envie d’apprendre et qu’il est prêt, il apprend, vite et bien. Il n’y aurait donc pas lieu de définir un âge type pour acquérir telle ou telle compétence, comme on le fait à l’école. Une réalité démontrée dans le documentaire de Clara Bellar paru en 2016 au Canada, « Être et devenir ». Dans ce film, des enfants non-scolarisés apprennent à lire à des âges très variables, plus tardifs parfois (jusqu’à treize ans), ce qui ne les empêche pas de devenir de fervents lecteurs. Ils disent être très heureux de leur vie à la maison et s’estiment chanceux.

Asociaux, les enfants qui ne vont pas à l’école ? 

Pas du tout, selon l’AQED. Lorsqu’on choisit de garder son enfant à la maison, se pose alors la question de sa socialisation puisque l’école est aussi un lieu de rencontre avec les pairs. Comme le précise l’association sur son site Internet, la socialisation est présente partout, tout le temps. Il y a en effet bien des façons de rencontrer du monde et de sociabiliser. L’idée de la non-scolarisation est de créer des réseaux d’apprentissage, tous âges confondus, dans différents contextes. Le jeune peut donc rencontrer des gens en faisant de la musique, du sport ou des sorties culturelles, mais aussi en allant au parc, en voyage, en jouant avec les voisins… L’entourage, la famille et les amis sont alors impliqués dans l’éducation. Par ailleurs, il existe des groupes de soutien qui peuvent être des lieux de rencontre et de partage. L’idée est de multiplier les opportunités.

Tous les enfants peuvent-il apprendre librement ?

On aurait envie de répondre que oui. Cependant, on peut voir dans le documentaire de Clara Bellar que certaines conditions sont requises. Les parents qui ont choisi cette forme d’apprentissage ont fait en sorte de répondre présents pour nourrir la curiosité et la soif d’apprendre de leurs enfants. Ils sont là pour prendre le temps de guider sans diriger ces êtres en devenir et leur permettre d’exploiter leur plein potentiel. Un jeune veut faire de la musique ? Il a les instruments à portée de main. Il s’intéresse aux oiseaux ? On veille à ce qu’il puisse en savoir davantage sur ceux-ci à travers les livres, les balades dans la nature. Les mots-clés semblent être présence et confiance. Dans le film, on voit que quand l’un des enfants, passionné de sciences et de mathématiques, décide finalement d’intégrer une université, ses parents investissent dans des cours privés pour le préparer aux examens d’entrée. Il réussira les examens en question sans jamais avoir étudié sur les bancs de l’école et obtiendra un baccalauréat scientifique. On peut dès lors se dire que « tous les chemins mènent à Rome ». Encore faut-il que les universités reconnaissent le parcours des enfants non-scolarisés. Sur cet aspect, le Canada anglais et les États-Unis semblent faire meilleure figure que le Québec. L’Université d’Ottawa, par exemple, dispose d’un processus d’admission à ses programmes adapté aux jeunes qui ont fait l’école à la maison. On imagine que ces profils atypiques peuvent avoir beaucoup à apporter aux universités, de par un mode de pensée différent, plus indépendant et possiblement novateur.

Faire confiance à la propension naturelle des enfants à apprendre est certainement une merveilleuse aventure et la méthode semble avoir fait ses preuves. Des questionnements peuvent tout de même demeurer. Comment avoir l’assurance que cette approche fonctionnerait avec toutes les personnalités ? Est-ce qu’un enfant à qui on n’impose rien finira toujours par se diriger vers des apprentissages significatifs ?

Le choix de l’instruction libre demande un environnement stimulant. Il ne convient peut-être pas à tous et n’est pas toujours envisageable économiquement pour les familles. Il constitue néanmoins une leçon de lâcher-prise et de confiance en l’avenir, ce dont nous avons bien besoin, particulièrement face à la situation mondiale actuelle.

Delphine Petitjean

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