Il s’agit d’une de ces femmes du Maroc qui bouscule les préjugés, qui transforme sa vie en totale désobéissance au destin écrit, scellé et réservé aux femmes, au fait accompli d’une société patriarcale. Une de ces femmes qui renonce à quelque chose de socialement acceptable, de religieusement dans le droit chemin, de moralement souhaitable, pour sa liberté.

Née en 1929, elle vit une enfance pauvre en zone rurale à Chtouka près d’El Jadida, puis une adolescence dramatique. Elle quitte ses terres très tôt, à l’âge de sept ans, pour aller vivre chez son oncle à Casablanca. Elle se marie à 13 ans à un vieil homme. Deux ans plus tard, elle est déjà veuve et mère de famille.

Jeune fille analphabète, elle mène une vie difficile, multiplie les petits boulots de femme de ménage ou de cuisinière, pour subvenir à ses besoins et ceux de son fils et pour lui permettre de poursuivre ses études de ferronnerie et ses apprentissages de la peinture. À 25 ans, elle voit en songe, sous un ciel où tournoient des voiles, un saint qui lui révèle son avenir de peintre. Elle entend sa voix lui ordonner «lève-toi et peint». Cette voix ne la quittera jamais!

Chaïbia aime les fêtes, les sorties, la vie. Elle est connue pour la force de son caractère, sa gaité, sa joie de vivre, malgré les difficultés de la vie. C’est avec les gouaches de son fils Hussein, qui commençait à peine à se faire un nom dans le milieu artistique marocain, qu’elle dessine sa première œuvre.

Le critique d’art Pierre Gaudibert et les peintres Ahmed Cherkaoui et André Elbaz, découvrent ses compositions naïves, alors qu’ils venaient rendre visite à son fils. Son œuvre impressionne par la profondeur de sa simplicité plastique, par la vie qui s’en dégage, par son authenticité.

Sous le charme, Gaudibert l’encourage et l’aide à monter plusieurs expositions à travers le monde. Grâce à la persévérance et la détermination qui la caractérisent si bien, elle a pu changer son destin et devenir l’une des peintres du courant naïf les plus célèbres du 20e siècle. Son art voyage de La Havane à Tokyo, en passant notamment par New York et les grandes capitales européennes. Chaïbia fait le tour du monde et alimente musées et collections privées.

Icône de l’art marocain, elle peint des femmes seules ou en groupe, des femmes de sa campagne, des femmes des rues de Casablanca, dans une esthétique sans gêne. Pour elle, peindre c’est comme respirer. Elle s’éteint à Casablanca en 2004, à l’âge de 75 ans.

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