Abdelmadjid Ibn Tchoubane

Vrais, spontanés, simples, les 19 récits qui composent le recueil de Abdelmadjid Ben Tchoubane, intitulé «Qa’adâ au cœur de la médina», qui vient de paraitre aux Editions Anep, sont d’agréables promenades volés au détour de certains quartiers populeux algérois. Parmi la foule bigarrée de personnages qui s’y agitent, il ne se trouve au bout du compte qu’un seul héros : Alger el-Djazaïr ! La cité-mémoire, avec sa Casbah et ses ruelles tortueuses, ses artisans industrieux et soigneux à la tâche, ses venelles qu’embaument des bouts de légende, la mythique Cantèra aux remugles pieds-noirs, Santodji et ses lieux de baignade fétiches, Notre Dame d’Afrique et ses joyeux drilles baignant dans une ambiance d’insouciance… La narration est un sacré bain de mémoire, qu’illumine et sublime l’irrésistible joie de raconter, de ‘’reconvoquer’’ des noms et des lieux, de déballer quelques réminiscences de l’enfance et aussi de reproduire – souvent avec une scrupuleuse et tatillonne fidélité – celle des autres. Pour l’occasion Abdelmadjid Ben Tchoubane a bien voulu nous en dire plus sur son ouvrage :

L’initiative : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire cet ouvrage ? Et dans quel registre classez-vous cet écrit littéraire ?

Abdelmadjid Ben Tchoubane : Bien que l’idée germât en moi depuis longtemps, il y eut des amis et des collègues du journal dans lequel j’animais une chronique qui m’ont poussé à compiler certains aspects de mes écrits dans un livre. Quant au volet de votre seconde interrogation, je dois dire que c’est un récit que j’ai jugé utile de coucher à destination des trentenaires et quarantenaires qui n’ont pas connu la période que je décris. J’ai commis cet ouvrage sans ambition littéraire, mais en l’enrobant d’une fibre romanesque pour qu’il soit plus attractif et digeste pour le lecteur.

Dans les cinq premiers chapitres vous citez quelques événements historiques de la révolution algérienne. Est-ce cela représente une partie de votre mémoires ou tout simplement un éclaircissement sur certains événements historiques oubliés ?

En effet, c’est un récit chronologique dans lequel je raconte des noms et des lieux, je mets en scène des personnages que j’ai connus alors tout petit, qui m’ont servi d’arguments pour dépeindre une atmosphère qui avait pignon sur rue dans une tranche de vie de 1957, au cœur de la guerre de Libération nationale jusqu’aux premières années post-Indépendance. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un livre sur l’histoire d’El-Djazaïr ou de la guerre de Libération nationale ! Je ne prétends aucunement faire œuvre d’historien, je laisse humblement le soin d’accomplir ce genre de travail complexe et délicat aux spécialistes. Sinon, il s’agit de faits, de gestes, de règles et de codes tacites que ne pouvait pas comprendre le jeune gamin-témoin que je fus. Je ne prends pas de position, je porte un regard naïf, je déroule des fragments de vie d’un enfant, parfois ingénu.

Le lecteur peut déceler une sorte de nostalgie sur le rôle des Pères-blancs au sein de la communauté algérienne après l’Indépendance. Comment expliquer cela ? Et pensez-vous que leur rôle est, en quelque sorte, une autre forme de colonisation ? 

On peut saisir, cet aspect, comme vous dites, de brin de nostalgie, mais je dois souligner que les faits sont têtus, les établissements privés tenus par les Pères-blancs ou les Sœurs Salésiennes après l’Indépendance prodiguaient un enseignement général avec cette intelligence pédagogique que je mets en avant dans mon récit. Il y avait un enseignement conventionnel au même titre que le secteur de l’enseignement public et non, comme certains le pensent, une forme d’enseignement scolastique administré à des séminaristes.

Mais on ressent quand même dans votre récit une prédominance nostalgique envers l’administration coloniale. Comment expliquez-vous ces fragments de réminiscence avec force détails, par exemple, le la sœur Gabrielle de l’Ecole Salésiennes ? On a l’impression aussi que vous faites la part belle au colonialisme, une espèce d’apologie du révisionnisme…

Pas du tout. D’ailleurs, vous remarquez à travers la fournée de dialogues que je présente dans mon livre, le personnage Hamed qui tarabuste le vieil artiste à travers des remarques sur le rôle prétendu positif de la colonisation, lui reproche sans cesse de regretter l’époque coloniale. Sauf que le regard de l’artiste portait sur un autre aspect de l’administration coloniale.

Soyez plus explicite sur ce volet …

Eh ben, le chapitre ‘consacré au ‘’vieil artiste’’, qui tenait à expliquer, essayait de ne pas s’emmêler les pinceaux, à faire entendre raison au jeune personnage Hamed qu’il ne s’agit pas de dévider de bons souvenirs pour faire dans l’apologie du colonialisme, loin s’en faut. Les Algériens qui faut-il souligner, avaient le statut de musulman français et qui cohabitaient avec les Pieds-noirs, souffraient dans leur chair, faisaient l’objet de toutes sortes d’exactions et étaient considéraient comme une catégorie de seconde zone par l’administration coloniale. Mais au sortir de la guerre de Libération nationale, l’artiste semblait, au fil des ans, aigri par la mauvaise gouvernance, à travers des signes avant-coureurs qui ne prêtaient pas à l’optimisme. Détrompez-vous, dans mon récit, je ne m’attelle aucunement à véhiculer l’apologie du révisionnisme, sinon à faire la part des choses, surtout en matière de gestion de la chose publique. Le vieil artiste ne prenait pas de position avec l’administration coloniale, sinon, comme on dit, ‘’rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu’’.

Au sein des murs de l’ancienne Médina, vous dépeignez certaines échoppes comme l’espace de l’artisan ébéniste ou le coiffeur, des lieux qui servaient entre autre d’espace de rencontres de gens tous horizons confondus, voire un foyer culturel. Mais depuis, les choses n’ont de cesse d’évoluer surtout avec l’apparition des réseaux sociaux dont le caractère invasif est criant…

On ne peut arrêter, il va sans dire, l’évolution qui progresse à une vitesse grand V. C’est dans l’ordre des choses, le monde avance et notre mode de vie change. C’est une évidence. Mais je pense que le problème ne réside pas à ce niveau. Le monde est devenu, il est vrai, un petit village. Mais je pense que plus nous avançons pour nous rapprocher l’un de l’autre, plus il y a une partie de nous-mêmes qui s’éloigne de l’essentiel. Je ne suis pas sociologue, mais j’adhère amplement à cette citation de De Stanislaw Jerzy Lec qui dit : “Lorsqu’on crie : « Vive le progrès ! », demande toujours : « Le progrès de quoi ?”. N’est-ce pas là une sagesse qui nous invite à la réflexion et qui signifie beaucoup de choses.

Que renferme comme signification cette phrase dans votre ouvrage : «A quoi bon vous donner une promesse si je ne suis pas en mesure de la tenir».

Oui, j’ai tenu à mettre d’ailleurs en évidence nombre de sagesses, d’anecdotes ou de paraboles que j’ai entendus par ci par là de ces gens que j’ai connus ou côtoyés dans mon enfance. Ce n’était pas anodin, car ce sont des valeurs que les plus âgés tentaient à faire inculquer à travers leurs discussions, aux plus jeunes. Pour revenir à votre question, c’est le drame de notre société. Les gens autrefois se gardaient de s’engager s’ils ne sont pas sûrs de tenir leur promesse, contrairement à aujourd’hui, où ils balancent des promesses à tout vent. Ceux-là mêmes qui s’engagent pour différents motifs bassement matériels, sans tenir compte de l’impact de leur ‘’parole’’ lorsqu’ils ne la tiennent pas… Il y a un proverbe géorgien qui cite à juste titre : «Qui n’accomplit pas ses promesses se fait des ennemis.» Que cela soit en politique, dans la vie courante ou dans les rapports de la collectivité, c’est devenu, malheureusement, monnaie courante. Et les bonnes manières s’acquièrent, comme vous le savez, dès la prime enfance.

Le monde actuel a tendance à renouer avec le bon sens écologique, après avoir connu l’hostilité des produits chimiques qui ont un impact direct sur l’humain et l’environnement. Dans le dialogue avec le nattier Si Mohamed Bahar, pensez-vous qu’il connaissait les bienfaits des produits ou simplement il défendait la source de ses revenus ?

Les vieilles générations sont généralement réfractaires au changement, mais le monde évolue sans cesse. Je pense que dans le cas du nattier que je mets en scène dans l’ouvrage, les artisans étaient davantage mus par la chose bien faite, les vieux se donnaient avec doigté à leur métier et abhorraient le produit de pacotille. Ils étaient animés par le tryptique : peu, propre et bien fait. En clair, si le progrès et son corollaire, les nouvelles techniques, répondent de nos jours au facteur quantité, elles sont en revanche, très peu regardantes sur la qualité.

Voulez-vous dire qu’autrefois, on conciliait mode et écologie ?

Oui, je me rappelle qu’autrefois l’artisan appréhendait tout ce qui n’était pas naturel. Il refusait d’utiliser la matière faite à base synthétique qui avait envahi, on s’en souvient, les souks (marchés, ndlr). Pour lui, la matière de synthèse chimique ne peut nullement se substituer à la fibre biodégradable, comme le jonc, par exemple, qui, en plus d’être résistant, a l’avantage d’être anallergique (ndlr, ne cause pas d’allergies). Les artisans tablaient sur la qualité du produit et non sur la productivité, comme aujourd’hui, car tout simplement, ils étaient en osmose avec la nature été comme hiver. Autrement dit, ils nourrissaient de nobles et étroits sentiments avec le produit de la terre et ses bienfaits.

Pensez-vous que le titre ‘’On nous a volé notre histoire’’ peut remplacer le titre de votre ouvrage ?

Oui, on peut faire une lecture dans ce sens. Mais dans mon récit, j’utilise un travelling qui suit les traces d’une époque, la charge historique des noms et des lieux, sans verser dans le commentaire, ni établir un jugement.

Vous souhaitez conclure… 

Je tiens à rappeler que ceslambeaux de réminiscence, ces morceaux de vie que je déroule visent d’une part à exhumer un patrimoine, à travers un regard d’enfance dans une ambiance avant et post-Indépendance de l’Algérie et d’autre part, je plonge le lecteur dans des images, à travers certains quartiers avec leur panel de personnages que j’estime très édifiants.

Propos recueillis par Djamel Ayache

Bio-express

Parallèlement à sa collaboration comme journaliste dans la rubrique culturelle de nombreuses publications, dont ‘’Le Jeune Indépendant’’, ‘’Demain l’Algérie, ‘’Le Midi libre’’, ‘’le Jour d’Algérie’’, ‘’le Chroniqueur’’, l’auteur a tenu pendant 13 ans, la modeste chronique  »Instantané » du journal El Watan (rubrique Alger Info). Il a étélauréat du Prix Ansamed 2005, pour son article  »Virée dans la Casbah, entre ruine et restauration », paru dans le quotidien Le Jour d’Algérie. Cependant, les principaux centres d’intérêt de l’auteur sont l’histoire du Vieil-Alger et le riche patrimoine culturel matériel et immatériel de l’Algérie et du Maghreb. 

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