Vivre dans une maison close pendant deux ans pour pouvoir raconter ce qui s’y passe n’est pas chose aisée. Emma Becker a fait le choix d’être une prostituée dans un bordel à Berlin, une ville située dans un pays où la prostitution est un travail reconnu à part entière.

Les clients affluent sans prendre nécessaire conscience du vécu de chacune des occupantes. Dans cet esprit l’auteure a écrit La maison[1], un livre qui cache beaucoup de secrets.

Le corps qui nargue les sentiments

Des femmes qui gagnent leur vie en mettant leur corps au service des hommes sont non seulement dénigrées mais ont une mauvaise réputation. Cette réalité que nous retrouvons dans Nana d’Emile Zola dont parle Jacques Chessex : « (…) Et paradoxalement, la prostituée devient une sorte de sainte, la vengeresse dressée parmi les siens pour abattre la fétide alliance de l’argent et de l’Etat »[2]. En effet la maison nommée Le Manège voit défiler des hommes mariés, « d’hommes d’affaires pleins de fric » (p. 185). Leur présence dans un « bordel » n’a nul besoin d’être justifiée puisque l’acte sexuel est tarifé. Ils payent et passent à un autre sentiment. Or les femmes qui exercent dans ce lieu sont dans un enfermement psychologique perceptible. Ce que nous relevons à la page 84 : « Le problème avec ce métier, c’est qu’au bout d’un moment, ton corps ne sait plus quand tu fais semblant et quand tu sens vraiment quelque chose ». La dissociation entre le corps et l’esprit est une capacité dont font preuve ces femmes. Contrant la crise de conscience, elles peuvent aussi être mariées : « Ai-je précisé que le mari de Dorothée ne sait pas qu’elle travaille ici ? Il est représentant, ou quelque chose du même genre qui nécessite de nombreux déplacements, sans doute n’a-t- il aucun mal à imaginer que sa femme le trompe- mais l’idée qu’elle le trompe de la sorte lui passe certainement des kilomètres au-dessus »[3].

La maison, un roman témoin d’une réalité vécue mais qui reste un tabou dans une société hypocrite est une caméra mise dans un lieu qui bouillonne de zones d’ombres. Elles proviennent d’une souffrance, d’une douleur, d’un simple besoin d’argent. Le ressenti entre les femmes et les hommes est très différent. De ce fait Emma Becker souligne : « Je suppose que le soulagement physique laisse place à un vide béant, un sentiment de dégout de soi et de culpabilité qu’aucune douche, même avec plein de savon, ne saurait effacer »[4]. Le vide qui envahit le corps après avoir « payé-encaissé » rappelle qu’une maison close n’est pas dépourvue de l’aspect psychologique.

Lamia Bereksi Meddahi

 

[1] Emma Becker, La maison, Ed/ Flammarion, 2019.

[2] Zola, Nana, Ed/ Livre de poche, 1984, p. 8

[3] Emma Becker, La maison, Ed/ Flammarion, 2019, p. 80.

[4] Id, p. 229.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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