Le roman Bilqiss de Saphia Azzeddine[1] qui vient de paraître débute par des propos du prophète: » Une quête de savoir vaut mieux qu’une vie entière de prière ». C’est autour de cette pensée que Bilqiss, personnage principal, se démène. Prenant le prénom de la reine de Saba, elle s’est permise une liberté: » Un matin que le muezzin sommeillait encore et que je ne dormais pas puisque je ne dormais plus, de ma voix unanimement célébrée appelé moi-même les fidèles de mon quartier à la prière. Voilà ma faute »[2]. Cet acte interdit strictement aux femmes: » Apparemment elle a chanté l’adhan, l’appel à la prière, et c’est interdit aux femmes bien-sûr »[3] lui a valu une décision de lapidation. Au nom de la religion tout est décrété mais comme le précise Victor Hugo: « La religion est la mystérieuse sueur de l’infini. La nature sécrète la notion de Dieu. Contempler est une révélation, souffrir en est une autre »[4]. C’est contre la souffrance que Bilqqiss se bat. Elle considère n’avoir fait aucun mal, ayant fait un appel à la prière mais les accusations sont nombreuses: » Elle devait juste faire face à des accusations invraisemblables comme, celle, par exemple, d’avoir acheté des aubergines entières de forme phallique au marché, alors qu’il était obligatoire de les faire prédécouper par le maraîcher avant de les rapporter chez soi. Qu’y avait-il à répondre à cela? Un bras d’honneur en forme phallique me semblait la répartie la plus appropriée »[5].
L’arrivée de l’Américaine:
Refusant fermement les accusations, l’auteur a délégué une journaliste Américaine Leandra. Elle est arrivée pour recueillir tout ce qui est reproché à Bilqiss et aussi lui donner la parole. Elle a voulu l’écouter pour comprendre ce qui lui est réellement reproché. Lors de leur entretien plusieurs sujets sont abordés dont l’Histoire. Leandra dit: » Vous êtes des marginaux dont personne ne se soucie, bloqués au XIIIème sicèle pour les plus éclairés et vantant à qui veut l’entendre, pas grand monde, je vous le précise, combien de musulmans étaient brillants avant,, avant. Mais aujourd’hui qu’en est-il? Votre brillant héritage commence à dater et vous faîtes beaucoup de bruit pour pas grand-chose »[6]. Dans ce dilemme véhiculé par l’Orient et l’occident, les personnages tentent de se frayer un chemin pour étayer leurs convictions. Le juge considère que tout le malheur qui arrive à son pays provient de l’occident: « Tout ça, c’est la faute de l’Amérique, aux mécréants et aux ennemis de l’islam! Et cela mon juge n’était pas différent des autres hommes, comme eux il ne se remettait jamais en cause »[7]. La faute qui revient aux autres trouve sa source même dans la langue: » Ainsi nous ne disons pas « j’ai attrapé froid » mais « le froid m’a frappé », « la fenêtre m’a cogné », la soupe m’a brûlé ». Jamais nous n’étions responsables de ce qui nous arrivait. Nous étions éternellement irresponsables (…) C’est donc la faute de notre langue si nous sommes aussi misérables….Mais bien sûr »[8].
Dans ce roman où Saphia Azzeddine décrit avec brio les situations aussi absurdes que paradoxales, elle invite le lecteur à construire sa propre opinion sur les relations humaines et même celles qui le lient à Dieu.
[1] Elle est écrivaine et scénariste. Elle a publié plusieurs romans dont Confidences à Allah qui a été un best-seller.
[2] Saphia Azzeddine, Bilqiss, Ed/Stock, 2015, p. 28.
[3] Id, p. 91.
[4] Victor Hugo, Post-scriptum de ma vie, Ed/L’Herne, 2015, p. 37.
[5] Saphia Azzeddine, Bilqiss, Ed/Stock, 2015, p. 91.
[6] Id, p. 164.
[7] Ibid, p. 150.
[8] Ibid, p. 151.