Alger – Comme chaque spécialité en médecine, la pédopsychiatrie nécessite de la part des services compétents un suivi permanent de leurs structures administratives et d’accueil, mais pas que. Une population aux besoins spécifique qui interpelle chaque jour les pouvoirs publics et les différents acteurs de ce secteur sensible, souvent délaissé. L’autisme n’est pas une maladie mentale, c’est une déficience, un handicap. Est-ce un des grands défis de l’Algérie en 2020 ?
Une prise en charge insuffisante soulevée par les spécialistes durant les dernières années, pour ce trouble comportementale. Il y aurait dans tout le pays plus de 500 000 autistes, pour 16 services de pédopsychiatrie, 106 centres psychopédagogiques, une centaine d’associations, une fédération, un nombre importants des cabinets privés, des centres étatiques spécialisés. Il n’y a qu’à comparer pour constater que les efforts restent insuffisants.
Des familles désorientées par les difficultés à inscrire leurs enfants dans des classes spécialisées, qui demeurent insuffisantes devant le nombre en croissance des enfants autistes. Que dire des enfants diagnostiqués avec un autisme plus sévère, qui n’ont pratiquement aucune chance d’intégrer une classe spéciale. Ce n’est qu’à travers des diagnostics précoces, un nouveau système de formation et l’application de textes réglementés, que les autistes en Algérie connaîtront une meilleure insertion sociale, scolaire et professionnelle, notamment chez les familles démunies et dans les régions éloignées.
Un plan autisme avait été instauré en 2016, mais force est de constater que les différents services concernés attendent toujours cette réelle volonté de l’État d’enclencher une réelle stratégie et d’avoir une nouvelle vision afin de mieux affronter l’évolution de l’autisme. Une réelle prévention s’impose, qui se penchera davantage sur la meilleure intégration scolaire et formation professionnelle adaptées (accompagnateurs) à ces personnes handicapées.
Les pédopsychiatres algériens ont relevé entre autre le problème de coordination entre les différents services, ou souvent, chacun y va de sa propre méthode et prétend qu’elle est la meilleure. Axer les efforts sur la création de nouveaux centres exigera néanmoins d’assurer une bonne gouvernance et de bonnes pratiques, au niveau national et régional. Un diagnostic précoce assuré par des personnels médicaux et paramédicaux (orthophonistes, neuropsychologues, ergothérapeutes, psychologues), qui précèdera une prise en charge sérieuse et un programme basé sur des interventions éducatives et thérapeutiques, pourrait en effet diminuer les cas d’autisme, et mieux accompagner ceux qui auront dépassé l’âge de la guérison.
Mais toujours est-il que le manque de moyens fait souvent défaut dans ce genre de situation. Même si l’accès aux soins est relativement amélioré, aucune prise en charge institutionnelle sérieuse n’a réellement été appliquée. L’urgence dans l’amélioration des espaces destinées aux personnes atteintes d’autisme et la formation d’éducateurs spécialisés, sera déjà un grand pari de réussi pour la nouvelle Algérie.
L’ex ministre de la Solidarité nationale, de la famille et de la condition de la femme, Mme Ghania Eddalia, avait interpellé septembre dernier les directeurs de l’action sociale (DAS) à fournir davantage d’efforts pour une meilleure prise en charge de la scolarisation des enfants aux besoins spécifiques et à ouvrir les portes de dialogue et à communiquer avec les citoyens et les sections syndicales. Avec le remaniement ministériel, doit-on s’attendre à d’autres initiatives encore meilleurs envers cette communauté handicapée de la part du nouveau ministre Kaoutar Krikou ? L’avenir nous le dira certainement, une responsabilité qui pèsera tout autant sur les épaules du successeur de Bouteflika, le nouveau président Abdelmadjid Tebboune, et ses « proches » collaborateurs.
Entretien avec Amina Moussa (Psychologue clinicienne spécialisé en neurosciences et sciences cognitives, orthophoniste libérale)
« Une réelle prise en charge et de meilleurs diagnostics s’imposent »
« Même si chaque jour je m’améliore, le chemin est encore long »
Qui est Amina Moussa ?
« Une spécialiste qui travaille avec les enfants en difficultés. Membre de plusieurs associations, j’aime faire du bénévolat ! Ma mission dans la vie, c’est de faire tout ce qui est en mon possible pour que tous les enfants que je traite puissent développer leur plein potentiel. Toutes les informations scientifiques que je recueille me permettent d’avancer sur ce chemin, et j’ai bien conscience que ce chemin ne s’arrêtera jamais. Parmi mes objectifs dans la vie, contribuer à la création de lieux spécialisés pour les enfants ayant des besoins spécifiques et les intégrer dans la société. En plus de mes diplômes universitaires, j’ai fait plusieurs formations en Algérie et a l’étrangers ».
Quelle est votre définition exacte de l’autisme ?
« L’autisme est un trouble développemental débutant avant l’âge de 3 ans. Il touche simultanément :
– Les interactions sociales
– La communication, à la fois verbale et non verbale
– Le comportement avec des gestes répétitifs, stéréotypés, des rituels, des intérêts restreints
D’autres troubles existent dans les domaines de la cognition, de la motricité, de la sensorialité, des capacités adaptatives, mais ils ne sont pas retenus dans les critères diagnostiques ».
« Un trouble en augmentation en Algérie »
« Algérie, il n’existe pas de statistiques précises sur la proportion d’enfants autistes en raison de l’absence de base de données. Mais il semble que ce trouble est en augmentation. En Algérie, comme dans de nombreux pays, la question de l’autisme est complexe. Nous parlons ici de l’importance du diagnostic précoce pour pouvoir intervenir et entamer un programme de prise en charge selon chaque cas et il y a aussi un manque des spécialistes ou Il faut absolument former des pédopsychiatres, psycho-orthophonistes, psychocliniciens, psychothérapeutes, psychomotriciens, ergothérapeutes… Par exemple, Il ne faut pas confondre entre un retard de langage isolé et l’autisme, il faut ramener les bonne personnes qui s’y connaissent de le domaine, des spécialistes».
« Peu d’enfants autistes sont admis dans les écoles publiques »
«Un enfant autiste peut être autonome, suivre sa scolarité comme tous les autres, à condition qu’il soit pris en charge précocement par des spécialistes adoptant des méthodes pédagogiques adaptées…mais malheureusement, peu d’enfants autistes sont admis dans les écoles publiques. Ici, je vais parler des classes intégrées qui contiennent tous les enfants ayant des besoins spéciaux et les classes normales qui permettent à l’enfant d’interagir avec les autres enfants mais le manques d’enseignants formés pose toujours un problème. Pour tous les problèmes cités, certains parents se dirigent vers l’école privée. Là aussi, le tableau n’est pas reluisant. Le coût de la prise en charge n’est pas à la portée de tous les parents, et ce, dans le cas où ils trouvent une école qui accepte leurs enfants.
« Les soins privés reviennent vraiment chère »
Les enfants autistes sont, encore aujourd’hui, en majorité déscolarisés et beaucoup d’enfants autistes grandissent toujours dans des établissements spécialisés et des associations, quand certains pourraient intégrer la société, si elle était plus inclusive. L’intégration d’une personne autiste dans le circuit social et professionnel reste très difficile pour les enfants autistes ayant un handicap majeur de socialisation et de communication, très souvent associé à un retard mental. Par contre, pour les enfants autistes dont le diagnostic et la prise en charge sont précoces, le pronostic socio familial reste meilleur. En raison de la mauvaise prise en charge des centres publics, les parents se retrouvent dans l’obligation de prendre leurs enfants chez le privé, les séances d’orthophonistes sont vraiment chères. Les enfants scolarisés auront besoin d’un AVS, et c’est les parents qui devront tout payer, la DAS se contente de juste donner l’avis favorable, c’est tout, sans verser aucune aide aux parents concernés. Notre système de santé répond bien à certains aspects de prise en charge dans d’autres disciplines, mais moins celles concernant l’autisme vu que c’est récent, associé au manque de structure assurant le diagnostic et la prise en charge de l’autisme, le manque de personnel qualifié, la méconnaissance des troubles, l’absence de collaboration entre les différents intervenants et professionnels ».
Pour trouver des solutions à ce secteur sensible, l’action doit être portée sur :
– Favoriser le dépistage précoce par des professionnels qualifiés
– Formation des professionnels et des familles
– Information et sensibilisation
– L’accès à l’école dans les différentes communes du territoire national
– L’accompagnement tout au long de la vie de personnes souffrantes d’autisme et de leurs familles
Propos recueillis par Hamid Si Ahmed