Après avoir écrit Ma mère et moi Brahim Metiba vient de publier Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi[1]. Il est question d’un message que le père a laissé à son fils: « Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi, je te laisse ce ticket de métro. Ton père »[2]. C’est à partir de cette phrase que toute la narration se tisse : « je te laisse ce ticket de métro qui compense le temps que je n’ai pas eu pour bavarder avec toi. Ton père ». L’agencement des deux segments de la phrase me fait croire à un rapport d’égalité: « Je te laisse ce ticket de métro qui est le bavardage que je n’ai pas eu le temps d’avoir avec toi. Ton père »[3].
L’Histoire se fraye toujours un chemin :
Ce bref échange écrit permet de faire appel à la mémoire: « Mon père habite en Algérie. J’habite en France depuis quatorze ans. Mon père a cessé de vivre, au moment où il a arrêté de travailler. Lorsque j’ai quitté l’Algérie, j’ai laissé mon père encore actif (…) Je ne me souviens que d’un seul moment où mon père m’a compris. C’était un miracle : ça ne s’est produit qu’une seule fois et plus jamais après »[4]. L’auteur explique : « Je ne comprends rien à ce qu’il raconte, et il ne comprend rien à ce que je dis. Nous parlons pourtant la même langue : le français. Car comme tous les Algériens de sa génération, mon père ne connaît que le français. Les Algériens de ma génération parlent algérien : une langue constituée d’une base de français, plus ou moins arabisé, c’est-à-dire phonétisé comme l’arabe; le reste est kabyle, arabe, portugais, italien, ce qui constitue l’histoire de l’Algérie »[5]. C’est dans ce métissage hétéroclite que le dialogue tente de se construire : « Depuis quelques années, j’essaie de réduire le fossé entre mon père et moi, entre ma mère et moi, entre mon père et ma mère, entre l’Algérie et la France, entre Paris et sa banlieue. Il y a quelques années, place Saint-Georges, quand je suis resté admiratif de Pierre, j’ignorais comment agir. Aujourd’hui, je le sais : par l’écriture ». Ecrire tel est le secret de la rencontre avec l’autre. Laisser des messages dans la grande ou la petite histoire témoigne de la nécessité de dialoguer. Savoir écrire est une chose et se faire comprendre s’en est une autre.
[1] Brahim Metiba, Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi, Ed/ Mauconduit, 2015.
[2] Id, p. 9.
[3] Ibid, p. 11.
[4] Ibid, p. 24.
[5] Ibid, p. 25.