Chafika Berber : auteure du roman « Le Hammam où la féminité se découvre »

Spécialiste en médecine physique et réadaptation pendant plus de trente ans, Chafika Berber prend sa retraite et se consacre à l’écriture. Son premier roman Une soirée au hammam paru aux éditions Le Lys Bleu dévoile l’univers des femmes et tout ce qu’il cache comme douleurs non exprimées.

L’initiative : Dans Une soirée au hammam le lecteur se trouve dans l’univers des femmes. Comment avez-vous eu l’idée de mettre le projecteur sur ce monde caché ?

Chafika Berber : Le hammam me semble le lieu où la féminité se découvre et se met à nu comme nulle part ailleurs. Dans ce roman où les personnages restent fictifs, j’ai simplement fermé les yeux et rapporté non pas des souvenirs mais des ressentis d’un lieu où, au-delà des rituels et des ablutions, se détachent des ombres mises en lumière par une attitude, une lascivité, une sensualité et surtout une espèce de connivence que la rue ou le quotidien ne révèle qu’avec parcimonie. C’est un monde caché subtilement par cette enfilade de pièces où la chaleur monte crescendo et où les corps se dissolvent et subliment ainsi la femme. En fait, il s’agit d’un projecteur pour les hommes, une manière de réveiller leur curiosité et de dévoiler toute la poésie d’une nudité qui les effraie et des mots tus qui s’opposent aux fins heureuses. 

La description est détaillée d’une manière telle qu’un réalisateur n’aura aucun mal à mettre sur écran cet univers. Pensez-vous que ce qui se déroule dans le hammam est un monde secret ?

N’est-ce pas là toute la poésie du hammam, un antre opaque où les secrets des femmes se découvrent depuis le vestiaire à l’entrée puis se dénudent complètement dans un abandon où la pudeur et la honte imposées font place à la célébration des corps et du bien-être. Des secrets que j’ai voulu encore plus forts en révélant à l’extérieur, des histoires parfois féroces où la femme est confrontée aux interdits. C’est un monde secret pour la rue et « ses » hommes mais qui, à l’intérieur de ses murs, offre toutes les libertés non seulement au corps mais à l’esprit, un monde indiscret et bavard. 

La lecture de Une soirée au hammam rappelle Femmes d’Alger dans leur appartement de Assia Djebar. Pensez-vous qu’un lieu clos, destiné qu’aux femmes aide à libérer la parole ?

Assia Djebar révèle l’intimité des femmes que la peinture de Delacroix célèbre par la lumière, les couleurs, une beauté exotique qui cachent la condition réelle de ces femmes. Le hammam plus qu’un foyer si bien scellé dans les maisons traditionnelles avec leurs fenêtres sur cour et plus récemment avec leurs barreaux solides, me semble le plus approprié. Il offre une liberté unique où les corps se touchent, fusionnent et les contours restent flous entrainant ainsi une intimité propice aux confidences. Il s’agit d’un espace de plaisir mais qui vous débarrasse de toutes vos impuretés, les rigoles d’eaux les emportent et avec elles les silences et les maux. Restent les mots, les vrais…

La dernière histoire laisse la parole aux femmes dans « Erragad » et se veut volontiers optimiste, libératrice comme une fin heureuse. 

Dans l’histoire de Hanane, l’univers de la prostitution est évoqué pudiquement. Est-ce un choix ?

L’histoire de Hanane se confond avec une partie de ma vie d’étudiante en médecine où j’ai été confrontée à cet univers en effet. Je ne peux ignorer ma pudeur naturelle et les tabous qui ont entouré mon éducation en Algérie. Mais il existe surtout une rencontre. Celle d’une jeune prostituée lors d’une consultation. Je commençais mon externat et à l’occasion d’une garde, je reçus cette jeune femme. Ce n’est qu’à la fin de mon interrogatoire (médical) que je découvrais son métier. Sa gentillesse naturelle, sa fraicheur m’avaient profondément touchée. J’ai donc survolé sciemment cet univers craignant d’assombrir d’avantage un univers difficile. Un hommage à des femmes à l’avenir cadenassé, qui, en quittant des maisons closes se retrouvent dans un terrain vague, le corps fracassé. Une parole et un corps confisqués, la plus grande violence faite aux femmes.

Avez-vous d’autres projets quant à l’écriture ?

J’avais commencé un recueil de nouvelles avant d’écrire ce roman et je pense le reprendre. Un recueil qui se veut plus disparate qui traite autant d’un quotidien banal où chacun peut se reconnaitre que d’un drame qui prend ses racines dans l’histoire et l’actualité.

Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi

 

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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