Auteure de Dans le jardin de l’ogre, Chanson douce (prix Goncourt 2016), Sexe et mensonges, Le pays des autres, Leila Slimani a été conviée à passer une nuit au musée Punta della Dogana à Venise. L’imprégnation des œuvres d’art se fait dans un esprit solitaire et le dialogue se fait avec l’intériorité de l’être. Souvent tout apparait la nuit, le moment où le silence laisse transparaître les vérités. À la lumière des propos de Shenghor (Ethiopiques) que rappelle l’auteure : « Je proclame la nuit plus véridique que le jour ».

Dialogue entre l’art et la littérature :

La nuit passée dans le musée Punta della Dogana a permis de mettre en exergue un nombre considérable d’artistes. Ce qui a retenu l’attention de Leila Slimani c’est l’œuvre de Hicham Berrada du fait des solariums géants qu’il avait installés au milieu de la Punta della Dogana et dans laquelle étaient enfermés des galants de nuit, des arbres méditerranéens qui exsudent leur odeur au moment où la nuit tombe. À l’image de la Madeleine de Proust l’écrivaine dit : « (…) m’ont rappelé beaucoup de souvenirs de mon enfance et de mon adolescence puisqu’il y avait un de ces arbres dans mon jardin familial ».

Dans Le parfum des fleurs la nuit[1], il n’est pas simplement question d’apporter une lecture des œuvres artistiques mais de rendre compte de tout ce qu’inspire ce lieu clos situé à Venise. La forme de l’œuvre artistique change entre les mains de l’écrivain. Elle devient un objet poétique qui traverse le temps. Leila Slimani cite Marcel Duchamp : « C’est le regardeur qui fait l’œuvre d’art. Si on le suit, ce n’est pas l’œuvre qui n’est pas bonne ni intéressante. C’est le regardeur qui ne sait pas regarder ». Apprécier l’œuvre à sa juste valeur c’est être en mesure de faire le lien avec soi et à tout ce qu’elle peut inspirer comme souvenir. Dans cette optique, l’auteure parle de l’incarcération de son père en 2003, à la prison de Salé. Embarqué en tant qu’ancien président d’une banque dans un des plus grands scandales politico-financiers, il tombe malade et décède en 2004. Des années plus tard il a été entièrement innocenté des charges qui pesaient sur lui.

Cet épisode marquant dans la vie de Leila Slimani dessine un parallèle avec la nuit passée au musée. Bien qu’installé au milieu des œuvres d’art, l’enfermé reste le même. En d’autres termes l’isolement, synonyme d’un aparté, est similaire dans n’importe quel espace. Le sentiment de solitude ne peut être bravé qu’à travers la force de l’écriture.

Lamia Bereksi Meddahi

[1] Leila Slimani, Le parfum des fleurs la nuit, Ed/Stock, 2021, 152 pages.

By Lamia Bereksi Meddahi

Lamia Bereksi Meddahi est l’auteure de la première thèse de doctorat sur le dramaturge algérien Abdelkader Alloula. Elle a publié La famille disséminée, Ed/marsa, 2008, une pièce de théâtre Dialogues de sourds, Ed/L’harmattan, 2014. Elle enseigne à l’université Paris XII et se consacre à la littérature maghrébine ainsi que le théâtre dans le monde arabe. Depuis 2014, Lamia est membre de l’équipe éditoriale au journal L'initiative.

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