Né à Damas, en Syrie, Mountajab Sakr est dramaturge, traducteur et professeur de théâtre. Il écrit des romans, des essais, des pièces de théâtre. Depuis 2012, il traduit des pièces de théâtre françaises qui sont éditées dans des maisons d’édition dans les pays arabes.
Il est membre du réseau européen de traduction théâtrale Eurodram pour les deux comités français et arabe depuis 2019.
L’initiative : La pièce de théâtre Débris place le lecteur dans un camp de réfugiés. Pouvez-vous dire qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Mountajab Sakr : Ce choix est tout à fait arbitraire, c’est très difficile de parler de la guerre en Syrie en une pièce de théâtre, c’est pourquoi j’ai choisi de l’évoquer à partir d’un point de vu d’un couple attristé par la disparition de son fils. Le titre Débris est synonyme de destruction et de perte que ressent tout syrien qu’il soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. En fait, j’ai voulu étendre le sens de ces « débris » pour signifier l’image même de la Syrie, qui était, selon le témoignage de l’homme dans la pièce, un pays autonome, sécurisé, où tout le monde prospérait. La guerre l’a transformé en débris à tous les niveaux. Dans un camp de réfugiés, un état de perte hante le réfugié : il ne sait pas comment refouler ses sentiments ; son âme déchirée ne se remettra plus.
Le couple qui fuit la guerre réside dans une tente, à la frontière du Liban. Ne pensez-vous pas que toute une symbolique se cache derrière cet espace ?
Le couple (L’homme et la femme) vit dans une tente, mais n’a pas forcément les mêmes préoccupations ; l’homme est en contact direct avec le monde extérieur, il rapporte des nouvelles, comme la mort du marchant Émile, l’arrivée des barbares, etc. Tandis que la femme reste enfermée dans cet univers claustrophobique qu’est la tente, elle ressasse ses souvenirs et se trouve gênée par le diabète ; elle vit dans un état mental de l’avant-guerre surtout lorsqu’elle évoque son fils.
Le camp de réfugiés au Liban symbolise tout autre camp pour les syriens, il y a ceux qui sont en Turquie, en Jordanie, en Iraq. J’ai essayé de sonder l’état d’esprit du réfugié loin de tout dogmatisme ou discours politique ; d’ailleurs lorsque j’ai lu tous les mensonges et les fausses-vérités qui ont été écrits sur la question syrienne, je me suis dit qu’il faut réagir et présenter une lecture différente dans une langue lue au niveau mondial. C’est au lecteur européen que je m’adresse en premier lieu ; il peut découvrir un regard de la guerre en Syrie, bien évidement tant de nouvelles du Covid-19 passent aux infos, alors qu’on raconte peu sur la Syrie. Cette pièce ne peut pas bien évidemment prétendre contenir les souffrances des réfugiés ni peindre une image complète de la guerre car la situation est si complexe, mais au moins, elle les présente dans un état comparatif ; pour le couple, il y a le temps de résidence au camp et celui de l’avant-guerre, ce dernier symbolise la paix, les beaux jours pour le couple (l’homme/la femme).
La perte du fils est vécue comme un drame par le couple. Il est le seul à être nommé dans le texte. Pouvez-vous expliquer pourquoi et qu’avez-vous voulu signifier par le choix du prénom Sam, fils du couple ?
Sam est le fils du prophète Noé, c’est à lui que revient les peuples sémites. J’ai voulu faire allusion au peuple syrien qui fait partie des peuples sémites que ce soit du côté de ses origines araméennes, assyriaques, phéniciennes, cananéennes ou enfin du côté de ses origines arabes. Le fils disparu Sam est omniprésent dans la pièce, le couple vit dans l’espoir de le retrouver, c’est le cas des centaines de familles en Syrie dont les enfants ou les proches sont toujours disparus. J’ai donc voulu rappeler que cette funeste guerre a déchiré tant de familles. Depuis le début de la guerre en Syrie, j’ai rencontré des parents ayant perdu leurs enfants, un parent, un père, une mère. Ils préfèrent que ce proche disparu soit mort que d’être disparu de cette façon.
Entre l’urgence de trouver un emploi et le chagrin qui mine le cœur suite à la perte du fils, le couple est confronté à une réalité morbide. Une fille a été enlevée, violée, meurtrie par des hommes qui brandissent le drapeau noir. Cette scène converge vers l’évocation de la religion. Qu’entendez-vous dire par cette évocation ?
L’ajout du personnage de la fille vient perturber l’existence, déjà fragile, du couple. Elle a été persécutée par les hommes armés, je fais allusion aux groupes terroristes qu’on appelle faussement dans les médias « les rebelles » ! Ces derniers ont attaqué des villes syriennes, et détruit leur infrastructure, bref ; leurs actes meurtriers tendent à sombrer la Syrie dans un avenir obscurantiste, ce qu’essayent d’ignorer les médias en Occident et dans certains pays arabes, ces derniers n’ont qu’un discours unique et répétitif vis-à-vis de la tragédie syrienne.
L’évocation de la religion se fait à deux niveaux : d’abord par le couple chrétien. Je fais allusion à la déplorable immigration des chrétiens syriens dont le nombre baisse de plus en plus alors qu’ils formaient, il y a cent ans, la communauté la plus dominante du pays. Ainsi, je dénonce l’immigration des chrétiens de Syrie et du Moyen-Orient, car ils font partie de la société syrienne si riche de ses communautés diverses. Le second niveau s’effectue par la présence de la scène du passé où deux femmes, vêtues de noir, obligent le personnage de la fille à se convertir vers l’Islam, sinon elle serait traitée comme une esclave, ces actes d’horreur ont été pratiqués dans des régions contrôlés par ce que j’appelle « les barbares » ou « les hommes aux drapeaux noirs » qui ont ravagé la Syrie depuis le début de la guerre en 2011. Dans les médias occidentaux, on ne parle que de ce qu’on appelle l’ISIS (l’état islamique) ou Daesh, et on oublie les autres groupes armés, si nombreux d’ailleurs, et dont les pratiques sont pires. Par ces pratiques pourries, ces groupes déforment le message universel de l’Islam, à savoir la tolérance et l’acceptation de l’autre.
Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi