Auteure de Anastasia (1998), Mon premier étranger (2012), Requiem pour un philosophe (2013), Sauvez la beauté (2018), Sarah et Nour (2019), La voix du Moloch (2020), La petite ouvrière métisse (2023), Sandrime Malika Charlemagne vient de publier la traqueuse[1]. A cette occasion, elle répond aux questions relatives à son nouveau roman.
L’initiative : Comment avez –vous décidé de donner le titre « La traqueuse » à votre roman ?
Sandrine Malika Charlemagne : Au début, je m’étais dit pourquoi pas « Ailleurs ». Mais je n’étais pas tout à fait satisfaite de ce choix. Ensuite, j’ai songé à « La cité des anges » qui me semblait plus proche de l’univers, voire des univers, que j’évoquais. Quand je me suis rendue compte qu’un film portait déjà ce titre, j’ai abandonné avec regret l’idée. Puis, mes éditeurs ont proposé des pistes, finalement nous avons décidé que ce serait « La traqueuse », terme souvent employé dans l’intrigue pour désigner Alètheia. A la réflexion, il me paraît approprié puisque le personnage principal traque, entre autres, sa vérité intérieure.
Dans le roman il y a un parallèle tangible entre le monde réel et le monde imaginaire. Est-ce un choix que de vouloir traiter ce thème qui est dans l’ère contemporaine ?
Mettre en scène une géographie de l’Autre monde est un exercice traditionnel dans la littérature. C’est le cas par exemple de la Divine Comédie de Dante. Aujourd’hui, c’est la science-fiction et le fantastique qui cartographient ces univers alternatifs. Bien sûr, on s’y inspire du monde réel, mais on le recrée autrement. Dans cet ouvrage, la Cité est une utopie qui a réussi, à l’inverse de tous les échecs dans notre monde. Il y a aussi des différences plus subtiles, plus métaphysiques, que j’ai voulu explorer. Dans l’Autre monde, chacun crée sa réalité, la carte est le territoire. L’Inter monde est la création collective de toutes les âmes en peine qui errent dans ses plaines crépusculaires.
Le personnage principal est Alètheia. Que signifie ce prénom ?
Alètheia, c’est la vérité pour les anciens grecs, mais aussi pour celui que l’héroïne doit retrouver. Ce prénom est donc un écho de la quête de ce personnage. Il s’agit aussi d’une conception bien particulière de la vérité. Celle-ci est un dévoilement, telle la brume qui en se levant laisse apparaître le paysage qu’elle dissimulait l’instant d’avant. La vérité se présente donc comme l’aboutissement d’un cheminement intérieur.
À la page 114, vous écrivez: « Je vais prendre un exemple: avez-vous lu ce livre récent, enfin, de mon point de vue, intitulé, Cinquante nuances de gris? P. 115: « Dans sa langue originale, poursuivit doctement l’envoyée, le titre de ce roman est Fifty Shaden of Grey. Fifty, « cinquante », Grey, « gris ». Jusque-là, c’est simple. La difficulté vient du mot Shade, traduit en français par « nuance ». Cette traduction est exacte, mais elle se réfère à une signification auxiliaire, liée au domaine de la peinture. Il n’y a pas juste le blanc et le noir, le bien et le mal, mais une infinité de nuances de gris entre les deux. Shade, en anglais, signifie, « ombre ». À partir de cette référence, on cerne un esprit philosophique. Pouvez-vous en dire plus ?
Sur la philosophie, en quelques mots, c’est très complexe à développer. Mais la référence aux Cinquante nuances de gris renvoie au statut de la traduction. Tout mot et celui par lequel on le traduit a chacun une palette de sens qui ne se recouvrent que partiellement. La traduction fait donc disparaître une partie de la profondeur du texte original, mais en même temps lui en apporte une autre qui est forcément différente. Certains disent que les traductions d’Edgar Poe par Charles Baudelaire sont de plus grande qualité littéraire que le texte original. Mais cet élément que vous soulevez est très secondaire par rapport à l’intrigue du livre. La philosophie est une simple atmosphère qui donne matière à voyager.
Quelle place tient le chat, Sophos, dans votre intrigue ?
Le chat accompagne Alètheia des deux côtés du monde. Il garde son corps chez les vivants et lui prête ses yeux chez les morts. Sa faculté de passer d’un univers à l’autre en fait un trait d’union entre les deux faces de l’intrigue. Mais le chat recèle sa part de mystère. Il semble avoir conduit la jeune femme jusqu’à la cité, juste après son accident. L’Envoyée voit en lui une ancienne lumière et ce ne sera qu’à la fin du livre qu’il révélera sa vraie nature. Je précise enfin que Sophos est une femelle malgré son nom masculin qui veut dire « Le sage » en grec.
Pensez-vous que le choix d’un roman est tributaire de l’état d’âme du lecteur ?
Il y a sans doute une part de hasard chez les lecteurs, parfois le bouche-à-oreille joue un rôle. Et sans doute aussi la façon dont le livre est mis en valeur et/ou défendu par les libraires détermine en partie le choix des lecteurs. Quant aux médias, ils sont un relais puissant auprès du public. Si votre ouvrage a la chance d’être accompagné par eux, il connaîtra de fait une plus large audience. Disons alors un mélange d’intuition, d’information, d’imitation.
Propos recueillis par Lamia Bereksi Meddahi
[1] Sandrine Malika Charlemagne, La traqueuse, Ed/Velvet, 2023, 204 pages.