Nass Tango est avant tout un danseur qui écrivait déjà bien avant de pratiquer le Tango Argentin. Il est né à Marseille dans les quartiers nord, de parents algériens. Dans sa ville natale, il poursuit des études brillantes jusqu’à l’obtention d’un bac+5 en Économie Mathématique. Auteur indépendant, il réédite en 2024 son cinquième livre intitulé : «les femmes viennent de l’abrazo, les hommes vont à la sacada».

Les femmes viennent de l’abrazo, les hommes vont à la sacada : cet ouvrage conçu comme le récit d’une narratrice en proie au questionnement, prend la forme d’un métissage qui serait né de l’accouplement d’un témoignage avec une expérimentation. Mi fiction, mi essai, il pose des mots sur les injustices issues de cet amour étrange qu’éprouvent les humains pour la domination de l’autre. Le lien original réalisé entre certains concepts tel que l’esclavage ou la colonisation et la danse, témoigne de la singularité de l’auteur qui réussit par une souplesse intellectuelle insane (est-ce étrange pour un danseur ?) à créer des passages improbables.

Rédigé comme un manuel de développement personnel composé de 115 « leçons » qui seraient tirées par la narratrice de son expérience personnelle du tango, l’écrit alterne les tons philosophique, historique, rebelle, pamphlétaire, et parfois poétique. Vous y découvrirez l’univers social et la technique de danse du Tango Argentin, décrits avec précision, parfois au vitriol ; et des questions d’ordre métaphysiques ou plus prosaïques énoncées dans un timbre insurgé ou positivement féministe.

Si vous aimez la profondeur ou l’originalité, ou la profondeur traitée avec originalité, ce livre est fait pour vous. Il négocie les thèmes les plus importants de notre existence avec une note d’humour, de dérision, et de poésie.

Extraits

Dans une vie précédente, les papillons étaient rampants. On les appelait chenilles. Elles étaient jolies mais elles rampaient. Un jour elles se sont redressées « d’un seul homme ».
D’un seul homme. Quelle ironique expression.
Puis il leur poussa des ailes. On les poursuit toujours pour leur beauté.
Elles sont toujours jolies, mais elles ne rampent plus. Grâce à leurs ailes.
[…]
Biches et gazelles seront évaluées au poids, aux dents, à la robe, et aux sabots.
Les sabots sont très importants. Ils peuvent être très hauts. Plus ils sont hauts, plus ils sont érotiques, plus ils promettent une chair goûteuse.
Beaucoup de biches et de gazelles ne seront pas vendues.
Beaucoup d’esclaves n’étaient pas vendus.
Ils mourraient de faim, de soif, de détresse.
Un grand nombre aussi mourrait dans les cales humides des navires, les poumons emplis de moisissure.
Sanente s’est dotée d’un Musée de l’Esclavage.
L’entrée y est payante. Les esclaves n’ont pas fini de faire gagner de l’argent à Sanente.
À l’inauguration du Musée, il fût organisé une fête mondaine. Des descendants d’esclave sont venus.
Assister à l’exposition des ossements de leur dignité. L’un d’eux vient même d’être cyniquement nommé Directeur de l’établissement. Aux bourreaux en apitoiement, il servira des rafraîchissements. Debout, solennels, la larme à l’œil, ils se tiendront sur le tapis rouge tissé dans les cheveux crépus de leurs victimes, et coloré de leur sang. Il trinquera avec eux, faisant mine d’être atterré par les aléas et les horreurs de l’Histoire.
Beaucoup de biches et de gazelles ne seront pas vendues.
Vorace à l’insatiable, l’homme parvint à la disparition de races animales, à l’extermination de peuples entiers, au pillage de la Terre. Mais il n’arrive toujours pas à épuiser un stock de côtelettes assises. Sur des chaises. Au bal.
[…]
Je ne veux pas quitter cette vie comme happée d’un songe, par une main courroucée. Je ne veux pas que dans le tunnel de l’adieu mon âme croise le regard accablant des enfants souffrants, des bébés boycottés, des esclaves fouettés, des pauvres affamés, des victimes dépouillées de la terre de leurs aïeux. Qu’ils étalent à mon regard mon silence complaisant. Mon confort complice. Qu’ai-je fait de ma vie ?

Nass Tango | Les femmes viennent de l’abrazo, les hommes vont à la sacada | Nouvelle édition 2024 (sorti en décembre 2021) | 378 pages

Site de l’auteur : nasstango.com

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